Difficile d’écrire dans une période pareille. Quand nos repères sont bouleversés et que l’avenir est aussi incertain, il est difficile de donner du sens à nos projets. Nous sommes en ce moment au nord de Marin, dans un environnement tellement agréable, chez des amis qui nous coconnent, dans une grande maison qui domine la mer et les eucalyptus, sous la chaleur inimaginable à San Francisco puisqu’il y fait 15 degrés de moins.

Virginie et François qui nous hébergent merveilleusement avec Léandre et Gabin

Sous cette douceur de vivre, il est difficile de croire que, la situation à SF est si catastrophique. Le port du masque y est obligatoire et la peur dans le regard des gens est effrayant. La ville est en train de mourrir et de se vider … si vous avez un jour pris les cable-cars (ces vieux tram …) et bien vous n’aurez probablement plus jamais l’occasion de le faire malheureusement.

La ville s’effondre et perd ses repères historiques les uns après les autres. Toutes les vitrines laissent place à des grandes grilles avec les « for rent » qui fleurissent un peu partout. En même temps, les homeless se multiplient et « profitent » de la politique très protectrice de la ville, accélérant la décomposition de cette société où tout se fait avec plus d’intensité qu’ailleurs. San Francisco se relèvera probablement tant cette ville a une énergie et a fait preuve de tant de resilience au fur et à mesure de l’Histoire mais la situation est pour l’instant vraiment sombre.

Cependant, puisque notre aventure aux États-Unis prend fin, nous avons l’obligation de regarder droit devant. Cela aurait pu être sur l’académie de Bordeaux ou à l’école européenne de Varese en Italie où j’avais été accepté, ce sera à Beyrouth pour occuper le même type de poste qu’à San Francisco mais en bien plus intense au niveau professionnel, l’un des postes les plus prestigieux de l’AEFE avec le Maroc face à l’ampleur du réseau là-bas. Au moment de basculer vers ce nouveau projet, il nous est apparu nécessaire de trouver une vie radicalement différente pour ne pas comparer avec la douceur de vivre à Tiburon. Notre expérience de 5 ans en Californie a été tellement enrichissante, plaisante et intense que nous avions peur du retour en France. Beyrouth est le bon endroit pour ça, un parfait opposé à San Francisco.

Depuis ma candidature sur ce poste en septembre, la situation au niveau économique s’est furieusement dégradée et un tel choix peut apparaître risqué. J’ai plusieurs collègues à Beyrouth qui me tiennent régulièrement au courant de l’évolution des choses. Si la crise est catastrophique pour les gens, elle ne touche pas les expats et la ville est toujours très sûre. S’il y a une chose que nous a apprise ce Covid, c’est qu’il ne faut pas trop anticiper les choses et prendre les évènements avec philosophie en attendant les échéances. Inch’allah, on verra fin août !

En attendant notre déménagement s’est déroulé dans ces conditions particulièrement imprévisibles avec des incertitudes sur la venue des déménageurs (notre container est d’ailleurs toujours bloqué à Oakland depuis 15 jours, ce qui n’augure rien de bon pour notre installation au Liban …) . Il a fallu déconstruire 5 ans de vie et de sérénité , il est clair que c’est douloureux mais je reste assez nostalgique de ces semaines où nous avions juste 2 tabourets, trois matelas et un canapé dans notre appartement et où nous étions très heureux et soudés devant la découverte de ce nouvel environnement. Ou comment réaliser que toutes ces choses qu’on accumule en les jugeant primordiales, sont vraiment pas essentielles et que seuls comptent les proches.

Malgré tout, il nous a fallu vider les cartons des souvenirs que je n’ai pris le temps d’évoquer ici, je me permets donc de faire un petit retour en arrière:

En février 2019, cap sur la Louisiane, à la Nouvelle-Orléans. Un des noms que nous avions couché sur notre Bucket list, à la recherche de l’ambiance festive de cette ville connue partout aux USA, mais aussi de l’empreinte de l’esclavage pour que les enfants comprennent et n’oublient pas. Nous y sommes allés un peu avant le fameux carnaval de la ville et elle était en plein préparatifs. Malheureusement, la météo n’était pas avec nous et il a fait froid et humide.

Cela ne nous a pas empêché de profiter mais l’atmosphère y était plus tamisée qu’à l’accoutumée, ce qui n’était peut-être pas plus mal compte-tenu de la dépravation sans limite que peut-être l’axe central de la ville les soirs bien arrosés.

On retient quand même la musique omniprésente, et de qualité, et l’esprit anti-conformiste, probablement hérité de la France. Cette trace disparaît sérieusement et il est dur d’entendre quelques mots cajuns, même dans les marais de Louisiane. J’ai retrouvé mes souvenirs de Tom Sawyer, des bateaux à aube, et de cette atmosphère que j’imaginais étant enfant, la chaleur en moins.

L’état de cette partie de l’Amérique est à l’image de la fracture qui divise ce pays : les belles maisons coloniales, soignées et pleine de charme, qui côtoient les taudis jamais reconstruits depuis le passage de Katrina. C’était il y a 15 ans et on ne peut toujours pas se rendre dans ces ghettos abandonnés à la tempête et au capitalisme. Ce sont ces mêmes gens qui meurent aujourd’hui par milliers sous les pneumonies dues au Covid, ces descendants des esclaves d’hier.

Il ne se passe pas un jour sans que les infos nous rappellent à quel point ce pays marche à deux vitesses, il broie des vies mais il respecte la réussite, il la sublime et il donne un espoir à tous même s’il est bien différent pour un blanc des banlieues riches de Los Angeles que pour les noirs des ghettos de New Orleans, ou les rednecks d’Oklahoma. Il me semble que la France protège mieux et plus, même si les inégalités sont immenses chez nous aussi. J’ai pris conscience ici des forces de notre pays, et elles sont nombreuses, mais on ne s’enorgueillit pas assez de ce qui marche et c’est dommage. C’est peut-être notre histoire …

En parlant d’Histoire, on a pris en pleine figure la visite des plantations, la vie des esclaves et la fragilité de notre conception d’égalité. La conservation et la mise en scène était , comme toujours, remarquable de simplicité et d’efficacité. Ce sont des endroits très beaux, en bordure du Mississipi, vraiment paisibles et il est difficile d’y imaginer autant de brutalité.

On a terminé cette semaine en partant à la rencontre des alligators des marais cajuns, accompagnés d’un vieux guide de 80 balais, chasseur de ces jolies bébêtes. Bon, pas hyper impressionnant vu d’au-dessus mais je ne me risquerais pas à aller les chatouiller.

À peine rentrés de cette chasse, nous nous sommes retrouvés dans une petite galère dont les compagnies américaines ont le secret : les filles et nous n’avons pas pris le même avion puisque nous avions utilisé les miles de United. Leur avion partait avec une heure de retard et passait par Houston. De notre côté, nous avions un stop à Denver. Suite à un incident voyageur, elles ratent leur correspondance et on se moque bien d’elles avant d’atterrir à Denver où une tempête de neige nous attend. Après 4 heures dans l’avion au hub, un dégivrage inutile, on nous débarque à minuit dans l’aérogare sans aucune couverture, solution d’hébergement ou même distribution de repas. Bien sûr, nous arrivions de Louisiane à 20 degrés donc, pas particulièrement couverts. La nuit dans l’aérogare de Denver à 8 degrés, sous la neige avec un -10 dehors restera un souvenir marquant. Sans parler de la galère et la lutte le lendemain pour choper un vol pour enfin rentrer.

Ces galères d’avion sont légions, on n’y a pas échappé. Comme l’été dernier où nous nous rendions à New-York depuis SF … Tempête monstre sur New-York donc atterrissage forcé à Chicago puis attente interminable sans aucune information. On a fini par arriver à 3h du mat au lieu de 19h. J’avais un peu d’appréhension lors de ce voyage car je gardais un souvenir oppressant de Big Apple en 1990. L’impression d’étouffer, la ville peu sûre et la fatigue après la fête chaque nuit dans la colo, ont rendu les souvenirs de cette ville assez négatifs. Je n’avais pas trop envie d’y retourner mais j’ai cédé devant l’insistance de Marie et des enfants, et je ne le regrette pas. On a passé une semaine vraiment parfaite. J’ai beaucoup aimé l’ambiance de New-York assez méconnaissable par rapport à mes souvenirs. Il ne faisait pas trop chaud avec quelques orages en soirée très rafraîchissants, ce qui nous a permis de pas mal marcher depuis l’appart qu’on nous a prêté en plein Manhattan.

LE moment de cette semaine a été la visite de Ground Zero, dure et émouvante. Ces immenses chutes d’eau qui se jettent dans les fondations des anciennes tours jumelles sont une vraie réussite qui atteint son but en plein coeur : se souvenir tout en faisant un endroit apaisant.

Ground zero

La High Line, coulée verte qui traverse Manhattan, est aussi une parfaite réhabilitation qui illustre parfaitement pour moi la transformation de cette ville passant d’une insécurité un peu crade à un lieu vraiment paisible, tout comme la coulée verte à Paris en son temps.

L’atmosphère très sympa en a fait un super moment en famille pour notre dernier été avant notre départ des US. L’architecture de New-York est bien entendu impressionnante et ne peut qu’épater le géomètre qui est en moi.

Au menu, visite du Guggenheim, vélo à Central Park (très chouette, même si le tandem nous a fait quelques frayeurs), ONU, le Momath (on ne se refait pas 🙂 ) et des balades à n’en plus finir. Nous étions logé en plein Manhattan, ça aide pas mal aussi!

Le grand coup de coeur inattendu de mes voyages aux US est la ville de Chicago. Elle est placé au bord du lac Michigan et il y règne une atmosphère incroyable. Je m’y suis rendu 3 fois, une fois en mars, une fois en septembre et une fois en décembre. Bon, en hiver, ça caille dur, mais aux beaux jours, tout le monde sort pour écouter de la musique sur les berges des canaux qui sillonnent la ville. Tout tourne autour de la musique avec une ambiance très festive. Par ailleurs, l’architecture est vraiment réussie, sans parler du métro de Chicago rendu célèbre pour son « loop » central, sorte de boucle qui enserre le centre-ville en faisant des virages à 90 degrés. En été, la plage qui donne sur le lac devient un vrai lieu de vacances. Il faut dire qu’on a du mal à croire que c’est un lac tant c’est immense. avec les vagues l’absence de la moindre perception de l’autre berge. C’est une ville où il fait très bon vivre et vraiment abordable. Pour finir en beauté, il y a le bean, cette structure parfaitement polie qui te fait jouer avec les reflets sans voir le temps passer.

Que ça soit autour du bean, cette année ou pendant tout le temps passé ici, le temps défile et il est difficile de croire que ça fait 5 ans déjà que nous arpentons ce pays de long en large. Le clap de fin ne prend pas tout à fait la forme que nous attendions mais, comme tout ce qu’on a vécu ici, il prend une forme inoubliable.

On est au milieu du gué à présent, et nous avons à la fois envie de profiter des quelques moments avec nos amis d’ici, de notre mois en France rempli de l’incertitude lié à la menace de la fameuse seconde vague que nous prenons avec peut-être plus de sérieux en venant d’ici, et notre projection vers le Liban. Nous sommes habités d’une furieuse envie de profiter de cette nouvelle chance de nous enrichir d’une incroyable expérience .

On vit actuellement chez les uns et les autres, avec des au-revoirs qui n’en finissent pas. Pour couper un peu, on a tenu à partir un peu en famille à Santa-Barbara, histoire de goûter la douceur de la vie californienne, et l’élégance cossue de cette ville tout de blanc vêtue.

Il n’y a qu’à voir la classe des parkings publics pour réaliser à quel point tout est soigné.

C’était salvateur, le covid faisant un peu moins de dégâts ici, avec des restos ouverts en terrasse et des magasins où les contraintes ne sont pas trop fortes. Le contraste avec San Francisco est impressionnant.

Il est un peu étrange de quitter une situation catastrophique pour aller vers une réalité tout aussi dure mais nous sommes convaincus de la résilience des San-Franciscains comme des libanais et nous avons confiance en la capacité d’une communauté à se relever quand tout paraît sombre.

À n’en pas douter, au moment de plier bagage, quelques moments difficiles nous attendent, mais nous allons découvrir un pays qui nous marquera. Nos détours en Amérique prennent fin pour laisser la place à un si proche Orient. Mais ça, c’est une autre histoire…

One Reply to “Toujours confinés… mais prêts à nous envoler”

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