Alors, c’est sûr, ça n’avait pas forcément hyper bien commencé. Ce confinement nous a cloué chez nous, nous privant de nos derniers instants de liberté américaine, avec un sentiment d’inachevé, contre lequel on ne pouvait pas grand-chose. Évidemment, on a été merveilleusement recueillis par notre groupe de potes californiens, qui ont fait de la fin de notre séjour un moment très sympa, agréable et douloureux à la fois. La douceur de vivre chez Les Gros, entre soleil, mer, bonne bouffe et soirées arrosées, l’énergie et la tendre affection maternante des Margots puis les attentions et le réconfort moral de chaque instant des Le Boterff, si près du départ, pour nous permettre de clore cette expérience de 5 ans de la meilleure des manières. Je n’oublie pas les Derbiers, les Unko, Epsy, Steve, Greg et Nath, un peu plus loin physiquement, mais avec autant de cœur. C’était notre clan, la cellule qui a remplacé la famille pendant ces 5 années.

Toute cette chaleur humaine nous a aidé à monter dans l’avion pour quitter cette ville et retrouver un monde forcément très différent. Nous l’avions choisi pour ça, pour ne pas comparer. Un pays où la chaleur humaine ne se limite pas à un hug et un factice souci de l’autre. Un pays aussi plus enrichissant pour nous tous.

C’est certain, on n’imaginait pas avoir à affronter ce qui nous attend dans quelques heures, au moment où on a postulé. Je dis bien « on » parce que ce choix a été familial. Je ne vais pas vous faire croire que l’adhésion des enfants au projet a été totale. Disons qu’ils ont été convaincus de la pertinence du truc quand je leur ai demandé de choisir entre un poste à Montereau et le surf, la plage, le soleil et le ski … on passe sur l’expression, « c’est Beyrouth » dont ils n’avaient pas besoin d’avoir les détails à ce moment fatidique de la négociation. C’était de toute façon écrit en tout petit en bas du contrat et ils ne l’ont pas vu avant de signer.

Nous voilà donc lancés dans la course à ce poste qui est exigeant et l’un des plus costauds de l’AEFE. Le Liban, c’est près de 50 écoles françaises, un nombre d’étudiants faramineux et un enjeu politique très fort. C’est un gros besoin en formation et en pilotage, la principale mission qui accompagne ces postes d’expatriés à l’étranger. En gros, c’est du lourd. La réponse positive tombe en février, avec soulagement, mais aussi avec une certaine appréhension car la situation s’est bien dégradée là-bas, entre révolution et crise économique qui, petit à petit, divise par 6 le pouvoir d’achat des libanais. Entre temps, l’acceptation de mon dossier à Varese m’a presque fait regretter mais il était trop tard, j’avais déjà accepté Beyrouth, et puis la vie est faite de choix et celui-ci est indubitablement plus riche.

Ensuite, l’été en France est arrivé, avec son lot de contraintes. Tout d’abord, les visites médicales à répétition, les démarches administratives qui finissent par user. Il y a aussi le plaisir de retrouver la famille et les amis, mais cela se conjugue avec un déplacement de valises et une vie itinérante qui pèse de plus en plus. Il faut dire qu’on a traîné nos 8 grosses valises et nos nombreux sacs et bagages pendant près de 2 mois et que ça use. Le container promettant d’arriver avec du retard, on a été obligé de se charger pour tenir jusqu’en novembre. La tranquille descente aux enfers a alors commencé … Tout d’abord, un fonctionnaire zélé du Ministère de l’Intérieur nous met au supplice pour obtenir nos passeports de service, une sorte de passeport diplomatique qui facilite grandement l’installationet les tracas administratifs. Le genre de gars qui abuse de son petit pouvoir pour te montrer à quel point il est indispensable. Je suis sûr que ça parle à tout le monde… D’autant qu’on avait déjà perdu une journée à faire les démarches depuis le consulat de SF, sans succès… Bon petit accroc mais ça continue avec une tentative de cambriolage chez mes parents, alors que nous y avions laissé à peu près tout (ordis, passeports, bijoux, … ) durant un week-end dans l’Yonne. On rentre donc paisiblement pour retrouver le canon cassé, la poignée arrachée comme plusieurs appartements de la résidence. Après deux heures d’attente fébrile, le serrurier t’ouvre la porte en une seconde en poussant un loquet et on se rend compte avec soulagement que tout y est. On est tombé sur des cambrioleurs débutants ou bien peu doués. Dans notre malheur, on a eu du bol, les parents aussi … mais les nuages s’amoncèlent.

Alors qu’on finit par obtenir nos passeports de service, puis les visas avec soulagement, le souffle du port de Beyrouth nous ébranle. Les images sont terrifiantes et le projet est évidemment remis en question. 300 000 personnes à la rue, plus de port, plus de gouvernement. De la souffrance à n’en plus finir, qui s’étale au 20 heures, sous nos yeux attristés … Et on se retrouve bien seuls face à nos trop nombreuses questions, l’AEFE étant en vacances ou sans réponse devant le chaos. Dois-je prendre mon poste ? Les enfants doivent-ils subir ça, le peuvent-ils tout simplement ? Et, si je pars seul, où vont Marie et les loulous ? Tant d’interrogations qui nous font faire les montagnes russes émotionnelles au gré des informations qui nous parviennent, tantôt optimistes, tantôt alarmistes. Les conseils et les sacrifices des amis, aussi, un immense merci à nos Larrouturou, nos amis du Québec qui nous ont bloqué leur jolie maison de Bordeaux à la location, au cas où, en plus de leur précieuse écoute …

Et cette culpabilité de ne penser qu’à son petit confort quand ces gens ont le courage de se relever, de soigner leurs blessés et de reconstruire, déjà …

Savez-vous d’ailleurs que le port est à nouveau en état de marche après une semaine ? Bien sûr, c’est un point stratégique pour le pays, mais il est incroyable de voir qu’ils arrivent à mettre autant de vaillance et de résilience dans ces conditions si extrêmes.

Et nous poser la question de les laisser tomber est un vrai supplice car nous devons nous battre entre l’envie de ne pas se mettre en danger et la responsabilité de ne pas leur tourner le dos, de leur montrer que leur pays reste important aux yeux du monde et qu’ils méritent qu’on se batte. Il y a tant à faire, tant de blessures à soigner mais aussi de plaies morales à panser, en donnant ce qu’on peut par notre accompagnement. Comment ne pas les aider ? Et ça, ça pèse lourd dans la balance … Quelle leçon de vie pour nos enfants et nous même, une leçon qui marque et qui donne du sens. C’était la raison de notre expatriation au début, comment renoncer dans ces conditions ?

Alors, on a fini par basculer dans le bon choix, le seul qui s’imposait, c’est-à-dire de partir à 4 et de faire face. Un ultime rebond du destin lors de notre semaine en Auvergne nous mettra encore plus la tête sous l’eau mais on réalise à quel point on est bien entourés. Cela nous conforte dans l’idée que ça va finir par tourner et que le bonheur est au bout du chemin. Il ne manquait plus que la victoire du PSG en Ligue des Champions pour enfin remonter la pente … raté ! Quelques signaux positifs de nos proprios à Tiburon qui nous ont piqué une demi-caution avec autant de malhonnêteté que de mesquinerie ? Et non, on peut s’assoir sur nos 5000$ avec juste une envie de bousiller l’appart à distance pour leur faire bien profiter de cet argent si mal acquis.

On peut au moins espérer que les tests de Covid se passent bien pour enregistrer et faire de notre arrivée au Liban une formalité ? Et bien non, les résultats d’Elise et les miens n’arriveront que mardi alors qu’on part aujourd’hui … Ne me demandez pas, comment on a fait, vous seriez choqués!

On se dit qu’on va au moins profiter de notre arrivée à Beyrouth pour apprivoiser la ville et nous loger au mieux … Ah ben zut, Beyrouth est en reconfinement et paralysé par un couvre-feu de 10 jours pour lutter contre les cas de Covid qui enflent très sérieusement.

Alors, pourquoi ça ne tourne pas bien ? Est-ce qu’on va toucher le fond ?

Mais oui, ça finit par tourner !! Les libanais vont transformer toutes ces épreuves en quelque chose de positif. On est en bonne santé (enfin j’espère 🙂 ) , on va vivre une expérience inouïe, on est tous les 4 , unis comme jamais. Je suis convaincu que ça va forcément s’améliorer et que les prochains mois verront ce pays se relever, et que vous pourrez voir dans nos yeux la fierté de faire partie de ça, même si tout ne sera pas simple….

À demain pour notre première journée à Beyrouth, forcément dépaysante, et avec le bonheur de laisser le fond derrière nous…

3 Replies to “Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas …”

  1. pas d’humour sur votre container, ni sur vos déplacement, juste un grand bravo pour votre enthousiasme et volonté.
    Au plaisir de vous voir vite ou au moins lire
    celui qui redevient certainement enseignant

  2. Quel talent de conteur !
    C’est un réel plaisir de vous retrouver sur ce blog et je serai assidu.
    Bravo à vous pour votre enthousiasme et votre farouche altruisme. On imagine que la décision n’a pas été simple à prendre…
    Beaucoup de belles choses vous attendent sans doute, tant dans ce pays qui souffre que dans ton boulot Matth! Un autre gros challenge !
    Vous faites des envieux …alors continuez de les rendre encore plus envieux avec ce blog qu’ils lisent avec délectation!
    Biz à vous 4 et comme on dit au Liban »יגלם לדלג ךטרמסת שף פוג כבלשח«!!!

  3. Mon cher Schav… oui, que de temps difficiles et que de passages compliqués. « Des conneries » comme tu me disais. Je vous suis toujours avec autant d’intérêt bien sûr et j’ai hâte de découvrir votre arrivée là-bas. Je vous embrasse tous les 4 !

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