Les dernières semaines ont été intenses. D’une part, le travail est toujours aussi exigeant avec de nombreuses formations à animer, réunions à coordonner et des situations que ce fichu virus rend très aléatoires. Les zones fermées (je crois que le terme bien français utilisé par nos journalistes et dirigeants est « clusters ») ont fortement augmenté ces dernières semaines, au gré du nombre de malades qui a été relativement élevé ici mais qui se calme un peu à présent. Ça a été aussi un moyen de contrôle de la grogne populaire puisque ce blocage est intervenu la semaine du premier anniversaire de la révolution populaire. Quand un virus devient politique, il y a lieu de s’interroger de certaines coïncidences … La conséquence directe de ces restrictions ne nous a pas touché directement, puisque Beyrouth n’a pas encore été fermée, mais cela a provoqué de nombreuses incertitudes sur les écoles qui naviguaient à vue entre enseignement à distance, hybride ou présentiel partiel. Cela a pesé évidemment sur le moral et la pratique des collègues avec lesquels je travaille, sans compter les dégâts sur la jeunesse de ce pays. Au premier chef, nous avions notre Élise qui se désespérait de quitter sa chambre. Elle a enfin pu faire ses premiers cours pendant 2 jours avant que nous ne partions en vacances pour 10 jours. Mais la voir prisonnière des aléas de la connexion internet, muette et aveugle en écoutant un écran vide est une des blessures que nous a infligé cette situation ubuesque que nous n’aurions pu soupçonner il y a à peine un an. Nos attentes et nos ambitions sont durablement transformées et le besoin vital de revenir à l’école va marquer toute cette génération d’ados et de jeunes plus généralement. À l’heure où la France se reconfine, comme une partie du monde qui n’a jamais cessé de l’être, il est certain que jeunes et vieux se rappelleront longtemps de ces douloureux moments, privés partiellement de leur liberté. À Beyrouth, il est possible de se déplacer et de sortir mais les contraintes sur l’école pèsent. Il n’est pas trop question de relations sociales, car Elise a de nombreux amis, avec une vitesse assez stupéfiante d’ailleurs, et profite bien de sa nouvelle vie. Je parle de ce plaisir qu’élèves et professeurs ont à être en classe, d’apprendre les yeux dans les yeux et de cette communication que des écrans et claviers interposés ne remplaceront jamais, je parle de ces rires derrière les masques, de ces gestes qui accompagnent et qui encouragent, de ces regards qui s’éclairent quand apprendre devient un plaisir… Tous ces choses qui donnent du sens à notre métier et dont on a été privé trop longtemps. Le plus dur est de savoir qu’ils restent en sursis.

De son côté, Élise a fait son retour en classe avec un soulagement réel, au point que, la semaine prochaine, elle sacrifie notre semaine de vacances pour un stage en présentiel de 4h par jour afin de rattraper le temps perdu. Baptiste a eu la chance d’être en classe (car il est en classe à examen). Il est très heureux de sa vie ici, satisfait de ses profs et vivant son expérience libanaise à fond. Il profite de la proximité du lycée de notre appartement pour partir sur les sonneries et je me revois parfois lorsque j’habitais à moins de 5 minutes de Marcelin Berthelot. La vie est belle, entre rugby et fêtes avec sa promo.

Notre déménagement est enfin digéré et s’est bien passé. Quel plaisir lorsque notre table (fabriquée de mes petites mains à Fublaines), a été déposée dans le salon avec dextérité, puis tous ces objets qui nous ont tant manqué. Voir nos canapés, oscillant dans le vide, levés par la grue jusque chez nous nous a fait mesurer le chemin parcouru par ces meubles qui nous tiennent à coeur (ils ont l’âge d’Elise … ) de Fublaines à SF puis à Beyrouth.

Nous n’avions pas anticipé la nécessité de meubler ce grand appartement et la difficulté de trouver tout ce qui nous manquait. Nos dernières semaines ont donc été bien occupées à dénicher les bonnes affaires dans les nombreux magasins d’électroménager, de décoration et de meubles, …

Essai d’abat-jour 🙂

C’était aussi sans compter sur les ouvriers présents, presque tous les jours chez nous, pour résoudre les petits problèmes inhérents à un appartement inhabité pendant plus de 3 ans. Ça a commencé par la clim’ qui est indispensable encore aujourd’hui avec les 28 degrés minimum qui règnent à Beyrouth, amplifiés par les immenses baies vitrées qui baignent notre salon, cuisine et chambres d’un soleil qui s’évertue à augmenter les températures à un bon 35/36 … Clim’ indispensable donc , sauf qu’à l’arrêt de celle-ci, c’était les chutes du Niagara dans l’entrée !!

Sur le coup, on appelle notre proprio qui dégote un ouvrier, Georges, pour venir intervenir le lendemain, dimanche. Le Georges en question, est libanais et ne peut s’empêcher de fumer, ce qui a irrité ma petite chérie. Elle lui a fait la remarque une fois puis a fini par lui claquer la porte au nez pour qu’il comprenne. Ce qui ne joue pas en faveur de Georges, c’est qu’il a fait travailler (ben ouais, c’est le boss) des gars, qui non seulement n’ont pas réparé la clim’, mais qui ont abîmé les faux-plafonds et laissé l’appartement bien sale après leur passage. Du coup, Marie a fait une allergie à Georges … le souci, c’est que Georges repointait son nez tous les 4 matins pour essayer de régler le problème, sans y parvenir, me suggérant même de laisser la clim’ tout au long de l’ann;ee, 24h sur 24 … Euh, tu blagues là, Georges ? Bref, Marie l’a foutu physiquement dehors, carrément (j’adore ce côté cash de ma femme !!) et a exigé un vrai professionnel auprès de notre proprio, pour enfin éviter les cascades d’eau qui s’écoulaient dans l’entrée. Deux jours plus tard, c’était bon ! On passe sur les évacuations bouchées avec les pentes dans le mauvais sens, une hotte qui ne marchait pas, un robinet de cuisine qui servait de douche, un débit internet insuffisant pour permettre les visios du lycée, les peintures à refaire pour réparer les dégâts de Georges, … les livraisons de meubles et d’appareils cumulées aux courses nécessaires pour les travaux, qui font qu’on commence seulement à être un peu tranquilles chez nous.

Et on doit dire que nous ne sommes pas déçus car l’appartement est très agréable. Il domine la ville, en faisant face à la montagne et en dévoilant des vues sur la mer dans les chambres.

Nous ne sommes pas en front de mer mais le 19ème étage fait qu’on la voit d’un peu partout. Cela devient un besoin après nos années californiennes et le plaisir de pouvoir joindre la mer à la montagne est vraiment présent, même si la ville trépidante est là, avec ses bruits et son agitation.

Allez, une petite visite rapide … de nuit ;). On a 4 chambres, je ne vous mets pas celles des enfants car c’est des chambres d’ados et on évite d’ouvrir la porte pour ne pas avoir une crise cardiaque. Il fait environ 300 m2 et j’ai perdu Marie dans le salon l’autre fois … je la retrouve au bruit quand elle tente de passer à travers les baies vitrées sans les ouvrir. 3 salles de bains et une dans la maid-room, qui nous sert de débarras.

le salon
la terrasse …

Nous sommes très confortablement installés et on est conscients de notre chance. L’immeuble est très bien placé, dans le quartier sunnite du lycée, Koraytem, et nous permet de tout faire à pied, notamment les quelques minutes qui nous amènent à l’incontournable Roche aux Pigeons.

petit dej au-dessus de la Roche aux pigeons

Nous venons d’acheter une voiture pour partir prochainement à l’assaut de la montagne qui est probablement le principal atout de ce pays, comme nous l’évoquerons dans le prochain article après notre visite de Harissa.

Par ailleurs, nous avons commencé aussi notre véritable installation par une soirée au restaurant avec des collègues, donnant rapidement un digne aperçu de la mythique nuit libanaise. La tension était palpable dans cette salle d’un restaurant arménien, plusieurs indices faisant penser que tout était prévu pour basculer … les nombreuses baffles au plafond auraient dû nous inciter à la méfiance, le déplacement de quelques convives par les propriétaires sur le coup de 10 heures aussi … Un DJ armé d’un Mac et de la ferme intention de faire glisser la soirée paisible dans une danse endiablée a commencé à lancer sa playlist typiquement libanaise, et c’était parti !

Il n’a pas fallu grand chose pour mettre le feu, quelques notes et les voilà debouts. Mais ce qui nous a vraiment marqué est le sourire omniprésent, la joie des hommes de danser en se tenant par la main, les farandoles serrés les uns contre les autres, les déhanchés orientaux mettant un point d’honneur à faire rire les différentes tablées. Nous avons adoré cette soirée et le plaisir manifeste à célébrer ces moments sans masques, sans faux-semblants ni arrière-pensée, nous avons aimé voir le bonheur affiché de ces gens de faire la fête, nous avons été heureux d’être là … juste là, en oubliant Georges, le corona, les petits aléas pour ne garder en tête qu’une soirée emplie de joie.

Même si la situation s’est un peu tendue dernièrement avec les évènements et les tensions religieuses autour de la France, nous y sommes enfin … installés et prêts à découvrir les trésors de ce pays, un immense sourire dans la tête et le coeur grand ouvert : beau Liban, nous voilà !

9 Replies to “Nous y sommes !”

  1. plein de mots qui font rêver : non confinement, travail d’équipe, chambre d’amis, 28 degrés, soleil, …
    J’aime aussi votre ascenseur, tu t’es remis au parapente ? aux fusées à eau ?
    Profitez bien de cette vraie nouvelle vie

    1. Coucou Thierry,
      Tu ne crois pas si bien dire … Tu lis dans le marc de café ? Suite au prochain épisode 😉

  2. Un post qui va progressivement vers le positif pour finir en farandoles! Je ne l’aurais pas cru quand j’ai commencé à le lire 😉
    Merci pour ces photos qui nous permettent de mieux vous suivre et vous comprendre… Moi, ce que je préfère dans votre appartement, c’est … le meuble de l’entrée qui supporte la box ou l’interphone ou tout autre appareil libanais! Je vois que vous vous avez tout mis dans la voiture! ;D . D’ailleurs il va nous falloir une photo de cette fameuse voiture, mais j’imagine que c’est prévu…
    Profitez bien de vos escapades pendant vos vacances. Ici, c’est la reprise demain, dans le contexte que tu connais et qui ne va pas en s’améliorant pour le moment… Il va falloir (re)trouver le moyen de faire  » apprendre en prenant du plaisir » comme tu le dis si bien…
    Merci pour ce petit voyage pendant quelques minutes à travers ton récit.
    Bises à la famille et si tu cherches Marie, elle est certainement dans la salon !

    1. Merci Manu, j’ai enfin retrouvé Marie !! Deux jours que je la cherchais et je n’avais pas osé me lancer dans une exploration du salon 😀
      Tu m’as bien fait marrer ! Le meuble de l’entrée de la box est effectivement une création locale, basé sur une jolie poubelle de salle de bain ramenée des US en joli bois laqué mais qui n’a pas supporté de servir comme receptacle pour les sceaux d’eau qui coulaient du plafond … Du coup, ça a servi jusqu’au bout de bouée de sauvetage afin de ne pas griller ! J’ai récemment enlevé le ptit sac plastique qui protégeait le tout sinon je vois d’ici ton commentaire 😀
      Pour la voiture, le laisse un peu de suspense mais le Liban est sa deuxième vie après Haïti … ça vend du rêve ?
      Bises

  3. Bonjour les schav,
    Que d’histoires j’avais quitté vos aventures en Californie et je vous retrouve au Liban. Étant reconfiné et ne pouvant pratiquer aucune activités( de plus il pleut et il fait a peine 10 °C) j’ai relu ce matin toutes vos parutions. Je suis en admiration devant tant d’optimisme et votre faculté à rebondir. Bravo à vous 4 et bon courage pour votre nouvelle aventure.

    1. Salut Hervé ! Ça fait plaisir de te lire ! Merci de ton message .Tout va bien chez vous ? À quand Noëlie en équipe de France ? Baptiste aura fait équipe des US et équipe du Liban;) … Bises à la famille

  4. Merci Matthieu pour ce super recit dont je me delecte a chaque ligne. J’ai l’impression de parcourir un roman d’aventures, et suis admiratif de votre peche, de votre faculté à changer de vie et à vous adapter aussi rapidemment. Il faut dire qu’avec un logement pareil c’est un peu plus facile ……Magnifique !! Si j’ai bien compris la chambre d’ami, c’est pas pour Georges :+)
    Par contre, si Marie te fout dehors, tu pourras peut etre allez dedans ?
    J’attends le prochain episode avec impatience.

    Bises a tous les 4, pardon tous les 5 (avec Georges qui fait un peu partie de la famille)

    Nicolas

    1. Coucou Nico,
      Ça fait plaisir de te lire à mon tour. Tu peux voir que ta photo trône en belle place dans notre entrée même si on doit lui trouver un cadre qui lui fasse plus honneur car celui-là a souffert ! Merci de donner des bonnes idées à Marie …

    2. Purée Georges est revenu aujourd’hui pour ne pas réparer la fenêtre… Je pense que tu tiens une piste, Nico, il lorgne sur la chambre d’ amis.
      Matt a dû m’enfermer dans la chambre pour que je ne le morde pas…

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