Puisque l’heure est aux élections en France, sachez que nous avons eu droit à ce périlleux exercice démocratique au Liban aussi. Notre dernière expérience de ce genre, depuis notre expatriation, était l’élection de Trump en 2016 et le cataclysme qui s’en est suivi. Les élections parlementaires ici servent à élire le Président et tout l’exécutif, selon un mode auquel je n’ai personnellement rien compris. Deux libanais ont tenté de me l’expliquer, en se contredisant sur de nombreux points, preuve de la complexité d’un système électoral basé en grande partie sur des listes multi-confessionnelles, répondant aux sièges de la région (chaque confession a un nombre de sièges désignés il me semble). C’est le bazar et peu s’y retrouvent, illustrant à nouveau le magnifique dicton : Si tu as compris le Liban, c’est qu’on t’a mal expliqué …

En attendant, on nous promettait le pire en terme de tension et de mouvements de foule mais tout s’est finalement passé dans le calme et une relative euphorie. Bien sûr, nous n’avons pas échappé aux défilés à renfort de drapeaux et d’exhibitions d’armes pour « convaincre » les derniers hésitants ou tout simplement montrer sa force, mais le résultat, que beaucoup espéraient, est finalement tombé avec le Hezbollah perdant du terrain au bout du compte au profit d’élus issus de la société civile. Cet affaiblissement est plutôt un bon signe au niveau international, mais il reste maintenant à s’entendre pour créer un gouvernement … ce qui a pris 2 ans la dernière fois.

Cependant, on voit des effets immédiats avec certains murs de protection érigés autour du Parlement après la Révolution, qui ont été enlevés depuis les élections, signe d’un apaisement notoire… Les puissants qui craignaient la colère du peuple sont toujours là mais il y a un petit changement, le début d’une représentation civile qui redonne un peu espoir à la masse des pauvres gens.

Le quartier autour du Parlement, qui avait des allures de camp retranché, a retrouvé un petit peu de sa normalité, d’autant que, proche de la grande mosquée, il est vraiment charmant. C’est donc avec un grand plaisir qu’on découvre certains bâtiments qui nous étaient cachés jusque-là. Nous en avons profité pour visiter cette mosquée au toit bleu turquoise magnifique dans laquelle nous n’avions pu encore entrer.

Au-delà de ces considérations bassement politiques, la météo est étrange cette année. Nous avons eu un hiver assez froid et neigeux, la station la plus haute du Liban a même dû fermer ses portes car la quantité de neige dépassait les pylônes des télésièges! D’un autre côté, nous avons aussi subi plusieurs tempêtes de sable, venant d’Irak notamment, donnant au ciel une lueur étonnante, signe d’un climat toujours plus déréglé.

Depuis quelques temps, nous retrouvons cependant la météo que nous connaissions, avec un grand ciel bleu et une douceur très agréable, les arbres en fleur ajoutant des odeurs d’orient si charmantes. Les grandes chaleurs seront bientôt là, mais nous espérons être rentrés en France à ce moment tant il est difficile de supporter la moiteur locale en été. Nous avons d’ailleurs profité du retour du soleil, même si le ciel était un peu voilé, pour effectuer notre premier vol en parapente au-dessus de la baie de Jounieh. Depuis le site du décollage, la vue est à couper le souffle, vertigineuse ! Nous étions montés là-haut pour offrir un vol d’anniversaire à notre pote Marjo et son mari Jacques, et nous avons eu la même réaction en découvrant ce site perché, abrupt dans la pente, dominant la mer et la forêt dans ces premiers contreforts du Mont Liban. Une vraie claque qui pouvait nous faire craindre le décollage, mais tout y est très doux en fait.

Marjo a 40 ans !!

Après les premières appréhensions, nous avons été tous les 4 ravis de ce moment en apesanteur, assez loin de l’autoroute et des immeubles denses qui peuplent le littoral, ce qui était une source d’inquiétude pour Marie et moi. Comme tout s’est bien passé, ça m’a redonné le virus et je me suis inscrit pour un stage au mois d’août dans les Alpes ! On vous emmène avec Marie pour quelques secondes :

En parlant de prendre son envol, nous vivons une période bien étrange puisque nous sommes dans Parcours Sup, le bac pour Elise et Baptiste, les graduations et autres fun day comme on dit ici. D’habitude, cela sonne pour moi comme des moments à la fois rigolos et un peu pénibles (en tant que prof) : grand défouloir lors duquel les terminales disent au-revoir à l’établissement qu’ils fréquentent parfois depuis la petite section. Cela signifie une journée à haut-risque pour les profs qui finissent souvent au milieu de la mêlée, entre mousse à raser, pistolet à eau et danse effrénée. Cela n’a pas loupé mais il y avait aussi ce petit pincement au coeur de vivre ça avec mon Loulou. Bon, dans notre établissement, c’est bon enfant par rapport à d’autres lycées de Beyrouth mais cela reste un moment marquant.

Et oui, il s’agit des derniers moments avec notre fils, les premiers battements d’aile du gros oisillon qui vont le mener en France, en fac de médecine. Il a fini de passer son bac, nous attendons les résultats qui paraitront le 28 ou 29 juin et nous nous apprêtons à vivre les moments émouvants de la graduation, des résultats au bac puis du départ … Les incertitudes de Parcours Sup font que nous ne savons pas encore où il va poser ses valises, entre Lyon, Bordeaux et Montpellier, mais c’est un vrai stress que je vis de cet autre côté de la barrière, en scrutant la progression du jour dans la file d’attente. On croirait suivre les chiffres de la bourse ou du chômage au jour le jour avec un impact réel sur notre vie et sur nos choix. Nous croisons les doigts pour Bordeaux, sachant qu’il a obtenu Lyon ( qui est une bonne fac mais nous n’y connaissons personne), puisque c’est dans le Sud-Ouest que nous aimerions poser nos valises quand nous refermerons cette magnifique parenthèse de 10 ans de vie à l’étranger .

L’ascenseur émotionnel des jours passés et à venir n’est pas vraiment compatible avec la masse de boulot qui m’occupe en ce moment mais il y a bientôt les vacances donc je m’y accroche ! Dans ce contexte un peu prenant, on essaye de profiter de la moindre demi-journée pour découvrir des lieux qui nous réconcilient un peu avec la Nature, ce qui n’est pas simple à Beyrouth. C’est ainsi que nous avons fait une rando au Nord du Liban, vers la jolie Batroun . Comme toujours depuis que nous sommes arrivés au Liban, nous sommes surpris de découvrir quelques petites surprises cachées, au milieu du chaos et de l’urbanisation incontrôlée.

Sinon, s’il est un bon moyen de percevoir un pays, c’est d’y passer son permis ! Après celui obtenu en Californie, Baptiste a décroché le fameux sésame libanais … avec un peu moins de gloire cette fois ! En effet, après plus d’un an d’attente et de lutte administrative pour avoir le droit de le passer (en tant que membre diplomatique, c’est compliqué) , il a été pris en main par un gars que nous avions payé. Les réponses au code – en anglais tout de même, il s’agit de frauder avec discretion – ont donc été saisies directement par un type savamment arrosé par un bakchiche, puis Baptiste a conduit pour la première fois une manuelle sur 200 mètres, à l’abri des regards et le tour était joué ! Le chemin du combattant n’est pas fini car le but est de le faire reconnaître en France (puisque des règles de réciprocité franco-libanaises existent contrairement aux franco-californiennes) et notre chère administration bien de chez nous s’en mêle … on nous demande un papier qui n’existe pas au Liban. Décrivant cette situation au service des permis français, on nous répond qu’il nous faut un papier qui prouve que l’autre papier n’existe pas au Liban ! Quand l’administration réinvente le principe de la descente infinie de Fermat, on s’inquiète forcément et on se doute qu’on va prochainement toucher le fond … Je leur ai répondu que je ne pouvais avoir ce papier, mais qu’en revanche, j’avais fait la demande pour un papier justifiant que je ne pouvais pas avoir un papier expliquant qu’on ne pouvait avoir le papier demandé … J’y ai peut-être été un peu fort, et je n’ai pas eu de réponse. Soit j’ai déclenché une crise de cerveaux interne à l’ANTS, ce qui pourrait être salvateur, soit ils ont plus probablement créé une commission pour me demander de passer mon chemin. J’enrage !! J’ai bien tenté d’obtenir ce document, qui n’existe donc pas à, coup de bakchiches, sans succès … tout se perd mon bon monsieur ! Si même au Liban, on ne peut faire ce genre de truc, alors c’est que le changement est vraiment à nos portes et on peut craindre le pire …

Pour parfaire ce basculement définitif de notre petit microcosme, j’ai décidé de changer de carrière en assumant mon côté littéraire et artistique. Moi qui assimile toujours mon métier de prof à celui d’acteur permanent, je franchis le pas dans quelques jours en montant sur les planches avec la troupe de mon établissement pour deux représentations à guichet fermé de la Cantatrice Chauve…

C’est un feu d’artifice de musique, de danse et d’absurde … Après quelques doutes, je dois reconnaître le côté jubilatoire de cette hystérie collective, avec l’intention à peine voilée de contribuer à apporter un peu de légèreté auprès de nos collègues et amis libanais qui n’ont pas la vie facile en ce moment. Les gens se bousculent pour me voir en chauve probablement, c’est la seule explication logique à ce succès d’estime anticipé et j’espère que le public ne sera pas déçu. D’ici là, on espère que le vent du changement ne se transformera pas en tempête inattendue avec les dernières grosses échéances de l’année car, avec ce pays, on n’est jamais sûr de rien …

À très bientôt

One Reply to “Le vent du changement”

  1. Whaou je l’avais pas vu venir le baptistou qui a son bac et va devenir étudiant.
    et comme dit la pièce la pendule sonne les 13 coups de midi (si mon souvenir est bon)
    Bon vol à lui, et à vous pour de vrai

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