Il ne vous aura pas échappé que la situation dans la région est quelque peu tendue ces derniers temps. À grands renforts d’émission sur le risque de propagation au Proche-Orient et autres articles de journaux alarmistes, vous nous savez probablement aussi dans l’œil du cyclone … J’aimerais être rassurant mais c’est difficile. La situation me fait vraiment penser à un phénomène météo que nous n’avons vu qu’ici. Nous avons très fréquemment, en automne, des éclairs dans la haute atmosphère, qui inondent le ciel de lumière, sans un bruit, sans une goutte. Parfois ça tourne à la grosse averse, puisque la demi-mesure n’existe pas dans ce pays, parfois il ne se passe rien.

Voilà ce que nous vivons actuellement, les éclairs zèbrent l’actualité , renforcés par la rumeur et les images des réseaux sociaux. Des éclats de lumière menaçants contraignent les libanais qui ont connu les guerres et les invasions à implorer le ciel ou leur Dieu, et encouragent quelques jeunes fous à manifester bruyamment en convoi.

Au-delà de ça, la vie est normale, les quartiers de Beyrouth étaient calmes jusqu’à hier soir. Les derniers évènements ont un peu changé la donne et le ministère des Affaires Étrangères a passé la totalité du Liban en zone orange et rouge, obligeant n’importe quel déplacement des personnels diplomatiques à une autorisation de l’Ambassade.

Le gouvernement provisoire (je vous rappelle que le Liban n’a pas de président depuis un an et demi) a décrété un jour de deuil national en solidarité avec la Palestine, fermant du même coup toutes les écoles pour la journée. L’atmosphère est donc étrangement calme, les rues vides de toute circulation et la tension transpirant en ville … la tempête approche sous un ciel pourtant radieux.

Le sentiment qui nous anime est la tristesse de voir cette zone du monde où il ferait tellement bon vivre si les choix politiques du passé et les extrémismes modernes n’avaient mis les relations entre les hommes sens dessus-dessous. Il est fou de voir combien de choses partagent les israéliens, palestiniens, libanais et syriens tout en se repoussant . En voyant les images de Gaza et du sud d’Israël qui inondent les médias, j’ai l’impression de voir le Liban. La végétation, le climat, la nourriture, la musique, … Ces peuples se déchirent, se vouent une haine entretenue par quelques-uns alors qu’une immense majorité veut vivre en paix, en cohabitant. Ils sont frères, cousins, ils vivent de la même manière et j’ai pourtant du mal à croire que ce conflit puisse se régler un jour devant un tel amoncellement de souffrance.

Nous ressentons aussi une immense colère devant une communication complètement absente de l’Ambassade de France au Liban. Ce lieu est un microcosme, ultra-sécurisé dans lequel tu dois montrer patte blanche avec beaucoup de défiance et de mépris malgré le quadruple sas de sécurité, y compris avec un passeport diplomatique et un accès régulier au service des examens. On y croise ce que l’expatriation peut créer de pire : un microcosme centré sur lui même, reproduisant dans les moindres détails une vie parisienne à des milliers de kilomètres de là. Je déteste aller là-bas tant il transpire du regard de ces fonctionnaires français, les biais d’un si petit monde qui ne vit que pour lui, profitant de ses avantages et de sa position sociale … Je suis pourtant obligé de m’y rendre quelques fois pour l’organisation des examens et c’est presque toujours un moment désagréable. Je me suis déjà heurté à l’absence de communication au moment des élections présidentielles. Deux jours avant, on ignorait encore où nous devions voter. En revanche, nous recevons régulièrement des petites annonces du personnel de l’Ambassade qui, au gré des départs, vend ses meubles, ses voitures et libère ses appartements. Nous recevons aussi toutes les semaines le sacro-saint menu du café des lettres, le petit resto franchouillard installé au milieu de l’ambassade afin que leurs employés ne prennent pas le risque de s’aventurer dehors, et encore moins de manger local. J’avais à l’époque pris ma plus belle plume pour leur incendier la gueule en m’insurgeant contre l’absence de communication et le pollution insupportable de tous ces mails inopportuns. Aucune réponse. En revanche, au moment de voter, on m’interpelle :

 » – Schavsinski ? mais je vous connais …

– Ah bon ? je ne crois pas que ce soit réciproque …

– Si si, je vous connais …

– vous m’avez vu dans un film ? Le JT de TF1 en septembre 2009 ? Faut dire que j’avais été bon ce jour- là, au point d’être invité par TF1 pour jouer le rôle d’un des 10 français face à Sarko (véridique… )

– Non non, c’est pas ça !

– Vous avez lu mon livre sur les solutions algébriques de l’équation de Kummer et leur application à des problèmes de transcendance fonctionnelle ?

– Non plus

– j’ai votre fils à l’école ?

– Au CPF ? Ça va pas non ? C’est beaucoup trop loin de l’Ambassade, il faudrait en plus que je sorte du quartier chrétien d’Ashrafié !! Et mes enfants seraient entourés de bien trop de libanais, on n’est pas venus ici pour ça !

– Ben alors, je ne vois pas …

– on écrit des lettres ?

– (un peu gêné) ah ? euh ? vous l’avez lue ? Parce que je ne crois pas que vous en soyez la destinatrice.

– TOUT le monde l’a lue !!

– Ah ben c’est cool, vous avez vachement de boulot ! Ça explique pas mal de choses … Bon, et donc, vous allez nous envoyer des infos et arrêter d’essayer de nous vendre toutes vos merdes par liste de diffusion interposée ?

– Ça n’est pas moi qui m’en occupe !

– OK, ben c’est chouette tout ça. Je suis ravi d’avoir occupé TOUT le monde au consulat et à l’ambassade. Si vous pouvez contacter TOUT le monde pour leur dire que parmi les 20 000 français du Liban, il y en a assez peu qui ont quelque chose à carrer du menu du café des Lettres, ça serait gentil … Bon, je peux voter quand même ? « 

C’est à quelques détails près, histoire d’agrémenter le récit pour le confort du lecteur (et oui, je pense à toi), la teneur de cet échange un tantinet tendu, sous le regard hilare de Marie.

Bon, bien que TOUT le monde l’ait lu, ça n’a pas eu un effet folichon sur la comm de l’Ambassade. Alors que la situation est assez anxiogène , voilà le message du matin :

J’ai cru devenir fou en lisant cela … Ils se foutent de notre gueule !! Cela ne nous rassure pas : si jamais des consignes d’évacuation devaient être lancées, il est certain que nous passerions après le personnel de l’ambassade, ses meubles, ses voitures et les réserves du Café des Lettres.

Pour couronner le tout, il faut savoir que je suis soumis à une autorisation à chaque fois que je veux quitter le pays, y compris sur mes vacances, en fournissant tous les lieux et numéros de téléphones des endroits où je vais. Cette mesure est soi-disant pour des raisons de sécurité et pour pouvoir nous joindre en cas de souci… Lorsque l’explosion du port a eu lieu, jetant 150 000 personnes sans-abri dans les rues, pas un seul expatrié français n’a reçu un message. Voilà donc les raisons de notre colère et de notre angoisse, les gens qui sont censé nous gérer en cas de crise n’ont vraiment pas notre confiance. Cela se déchaîne d’ailleurs ce matin sur les groupes WhatsApp des résidents français au Liban…

Les éclairs sourds se rapprochent mais nous restons assez optimistes avec Marie. L’incertitude reste pesante car plusieurs ONG et nations ont rapatrié ceux qui peuvent l’être, mais cela reste une mesure de précaution. Il y a tellement de gens qui refusent la guerre, malheureusement dans les mains du Hezbollah, de l’Iran et des dirigeants israéliens. On a du mal à croire qu’on en vienne là mais je ne suis pas certain que ces dirigeants aient la même logique que nous. Aussi, nous restons optimistes sur l’absence d’embrasement mais aussi méfiants …

Il faut dire que les derniers éclairs dans le ciel ont donné lieu à une sacrée averse qui a jeté un mètre vingt d’eau dans les rues, alors on aimerait éviter le pire.

On vous tiendra au courant bien sûr et on ne prend aucun risque .

Une chose est sûre, on voulait vivre une expérience unique au Liban, on n’est vraiment pas déçus !

On vous embrasse

3 Replies to “Le calme sourd de la tempête”

  1. Coucou
    Enfin des News, je me demandais si ta fête n’avait pas engendré une pré retraite
    D’ici on est bien loin des problématiques, sauf administratives !!!
    Prenez soin de vous en plus la coupe du monde devient moins captivante
    Bisoux

  2. Salut mon Matthieu, et Marie bien sûr!
    Comment ne pas penser à vous en ces temps de guerre, qui n’en finit jamais. J’ai l’impression que je suis né avec et qu’elle ne s’est jamais arrêtée… sensation folle quand on y pense.
    A chaque fois que le mot Liban est prononcé, ma pensée se dirige vers vous et votre vie là-bas. Elle doit effectivement être unique cette expérience…
    Un moment croustillant que ta conversation ubuesque avec l’ambassade… presque à l’image de ce qu’on peut imaginer quand on n’y a pas recours… Tu as bien fait! Well done my friend!
    De notre côté, là aussi c’est terne depuis ces erreurs d’arbitrage que Thierry, par mansuétude, n’a pas osé mentionner, et pourtant…le résultat est bien là!
    Quel monde pourri!
    Au plaisir de vous relire.
    Biz à vous 2 et aux enfants par procuration qui liront peut-être ces commentaires 😉

    1. Merci, Manu et Thierry, heureusement que la communauté des profs de maths se serre les coudes pour animer ce blog, sinon, ça serait Waterloo !
      Le plus grave dans tout ça reste effectivement le désert rugbystique dans lequel nous plonge la crise internationale due aux nombreuses déficiences d’un arbitre néo-zéandais. Alors laissez-moi crier au monde : M. l’arbitre O’Keeffe pas mais alors pas du tout …
      Bises les gars

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