Nous vous avions laissé alors que nous étions dans un confinement très strict (interdiction totale de sortir, y compris pour faire ses courses) depuis début janvier. Les mesures se sont assouplies depuis, plus par l’exaspération de la population que par amélioration de la situation sanitaire. Les écoles n’ont pas repris et nous restons à distance, ce qui pèse évidemment sur le moral des enfants comme du nôtre. La perspective de faire l’année complète à distance commence malheureusement à devenir de plus en plus réelle, mais la possibilité progressive de sortir nous a donné l’impression de revivre un peu. Aussi, nous avons saisi chaque opportunité de sortir dans ce contexte pesant.

Nous avons commencé par nous extirper de Beyrouth durant 4 jours pendant les vacances de février. Après 2 mois d’isolement, ces quelques jours dans un hôtel à la montagne ont fait le plus grand bien. Au menu: jeux de société avec la dizaine de collègues qui nous accompagnaient, raquettes, balades dans la neige, luge dans la poudreuse… et ce n’est pas peu dire car il est tombé 1,20 mètres de neige durant notre séjour là-haut !! Les remontées étaient fermées donc nous n’avons pas pu faire de ski mais cela nous a fait un bien fou de sortir de notre quotidien. Nous avons mesuré à quel point il est facile de se rendre aux stations quand il n’y a pas de bouchon : en 45 minutes de voiture, on est à la station de Faraya, située à 1800 mètres d’altitude et à une vingtaine de kilomètres de Beyrouth à vol d’oiseau.

vue du lobby de l’hôtel après des chutes de neige incroyable
un peu de déneigement pour sortir la voiture de là après le 1er jour, histoire de la retrouver par la suite

Les enfants ont retenté leur chance deux semaines plus tard pour aller skier, à l’annonce de l’autorisation d’ouverture de la station lors d’un beau week-end ensoleillé. Le problème est que c’est le sport numéro 1 ici, et la cohue qu’a entraînée cette annonce dès le vendredi, a eu pour conséquence une fermeture immédiate, au grand désarroi de nos loulous qui avaient organisé le week-end à la montagne avec leurs amis.

La gestion gouvernementale est catastrophique, vous me direz que ce n’est pas le seul endroit dans le monde, mais il y a quand même des choses qu’on ne voit qu’ici. Par exemple, le ministre de l’Éducation a exigé des enseignants qu’ils fassent grève afin qu’il puisse faire pression sur les autres membres du gouvernement pour avoir des vaccins pour l’Éducation ! Un ministre qui demande à ses fonctionnaires de faire grève ? Ah ah, je suis heureux d’être venu ici rien que pour ça ! Elle est énorme celle-là !! Résultat : les établissements publics ont été contraints par leur administration de tutelle de faire grève et donc de fermer. Notre lycée ne s’est pas plié à cette contrainte en tant que collège privé mais ça vous donne une idée du bordel ambiant. On ne sait jamais d’un jour sur l’autre si on va travailler, si on va pouvoir sortir, faire nos courses, …

Pendant leur petit week-end à la montagne, nous avons pris la poudre d’escampette avec Marie et un couple d’amis pour une brève incursion dans le Shouf, zone naturelle protégée au sud de Beyrouth dans laquelle les cèdres sont rois. Après la visite d’un des plus vieux et mieux préservés villages du Liban, nous nous sommes retrouvés chez un papi et une mamie pour acheter des produits locaux (huile d’olive, fruits et légumes,…).

Cette rencontre inattendue nous a permis de voir la gentillesse légendaire des libanais mais aussi leur sens du commerce 🙂 (on est sûr que la petite dame nous épiait avant cette rencontre inopinée …). Il faut dire que les temps sont durs pour une grande partie de la population et les touristes capables de dépenser se font rares. La dévaluation de la monnaie est catastrophique, elle a été divisée par 10 en un an, sans que les salaires n’aient changé. Nous observons la flambée des prix dans les magasins et la disparition progressive de nos produits français des étals, devenus trop chers à importer.

Nous avons dû abréger notre petite échappée dominicale car la menace de rester coincés sur la route se faisait plus grande. En effet,les barrages de protestation se multipliaient à ce moment, pour contester une livre libanaise passée à 1 dollar pour 10 000 LL. Il y a même eu un pic à 15 000 LL et nous tournons actuellement aux alentours des 12 000 LL. Ces fluctuations sont difficiles à comprendre pour nous car il s’agit du cours au marché noir, le seul viable économiquement puisque le cours officiel est toujours à 1 $ pour 1500 LL. Cela explique pourquoi nous ne pouvons utiliser notre CB ici car un produit qui vaut 20 euros au cours du marché noir (donc celui des changeurs ayant pignon sur rue) serait facturé 200 euros sur notre compte. Le pays est donc contraint de tout payer en billets, et la volatilité de sa valeur est reine. Cela entraîne des réactions très épidermiques mais brèves, avec des carrefours bloqués par des manifestants qui y brûlent des pneus. Du coup, un trajet de 30 minutes peut prendre trois heures, de manière impromptue. Rassurez-vous, cela reste très sûr et on se balade paisiblement dans Beyrouth, mais la souffrance des libanais, de mes collègues pourtant privilégiés, nous peine sans que nous ne puissions faire grand chose d’autre que leur montrer notre soutien et de consommer local.

Pour sortir de cette réalité morose et profiter des températures estivales, nous avons repris nos balades dans l’ouest de Beyrouth. Nous avons tout d’abord retrouvé nos vélos dont nous n’espérions pas faire l’usage en partant de Californie mais la corniche toute proche permet une jolie balade de 13 km à partir de chez nous, en bordure de mer au milieu d’un mélange de pêcheurs et de promeneurs dans ce lieu très agréable de la ville.

La piste aboutit dans une zone interdite aux voitures, dans laquelle les bars et salles de concerts avaient élu domicile, au bout du port. Tout ceci a malheureusement été soufflé et il reste une zone de promenade qui ne demanderait pas grand chose (pelouse et arbres) pour en faire un lieu magnifique. L’héritage de ce 4 août disparaît petit à petit, à grand renfort de remplacement de vitres et d’une main d’œuvre au travail 7 jours sur 7. Les organisations humanitaires sont toujours là, autour du port, dans les quartiers populaires saccagés par l’explosion mais la vie refait surface surtout grâce à l’habitude des libanais de se débrouiller sans leur gouvernement.

Par exemple, les bris de verre de l’explosion ont permis de remettre au goût du jour l’artisanat du verre, toujours à partir d’initiative privée.

https://www.lci.fr/vie-pro/video-souffleur-de-verre-un-metier-en-pleine-renaissance-au-liban-2173832.html

Il est réconfortant de voir que la vie reprend sa place après la catastrophe. Les stations de ski ont pu elles aussi rouvrir de manière un peu surprenante puisque tout le monde pensait que la première tentative d’ouverture catastrophique, la douceur du climat et le covid avaient mis fin à la saison. Cependant, grâce aux chutes de neige il y a deux semaines et l’autorisation des stations d’ouvrir sous la condition de mieux s’organiser en limitant le nombre de forfaits vendus, nous avons pu profiter de cet atout incroyable au milieu du Proche-Orient. On poussé l’expérience jusqu’à laisser le volant à Baptiste puisque ses 18 ans lui permettent d’avoir la chance de frayer officiellement dans la circulation chaotique libanaise.

Arrivés là-haut, la neige abondante nous attendait. Vous pouvez voir que ça souffle fort (oui oui, les congères sont bien complètement horizontales !). Quel plaisir de pouvoir profiter de cette poudreuse (il a neigé encore abondamment sur notre arrivée à la station), dans de belles conditions avec une fréquentation raisonnable. Nous ne sommes pas des fous de ski mais c’est quand même très chouette d’avoir cette opportunité à une heure de la maison.

Elise a pu nous montrer ses progrès et sa capacité à tomber avec élégance et gestuelle comique dans la poudreuse. Elle nous a bien fait rire même si Baptiste a dû abandonner face à une douleur au genou, ne voulant risquer de se blesser alors que les entraînements de rugby avec l’équipe du Liban reprennent à peine.

La vue depuis le sommet du Mzaar (qui n’est pas le point culminant du Liban mais est à 2465 mètres quand même) est époustouflante. On skie bien sûr en surplombant la mer et Beyrouth, comme vous pouvez le voir dans le fond de cette photo:

Nous sommes descendus en fin de matinée pour mesurer l’amplitude thermique de -6 degrés le matin à la douceur des 20 degrés du bord de mer à midi.

Un des dictons libanais dit qu’il y a une semaine dans l’année où tu peux skier le matin et te baigner l’après-midi. Il faut reconnaître que ce n’est pas une légende même si la baignade attendra, nous concernant. L’appel du large est là mais on va attendre que les températures augmentent un peu (ce qui est prévu pour la semaine prochaine, au delà des 30 degrés).

Nos découvertes ne se limitent pas à la montagne puisque nous sommes allés à la rencontre d’un lieu assez atypique à Beyrouth. Il s’agit d’un petit quartier, au-dessus de la pointe de la Corniche (la balade le long de la mer à vélo ou à pied, notre promenade favorite), dominée par un des phares de la ville. Ce coin est une petite perle authentique, parsemé de demeures chamarrées et défraîchies. Malheureusement, ces maisons ne sont pas mises en valeur car leur charme typique ne tient pas bien longtemps face à l’appât du gain des promoteurs. Il reste ici et là quelques bâtiments classés qui échappent à la folie immobilière qui s’est emparée des riches beyrouthins, mais ces lieux ne se laissent pas facilement découvrir, cela fait partie du charme de cette ville (parler de beauté serait largement exagéré).

L’un des attraits de ce quartier est une histoire peu banale d’héritage immobilier. Un père choisit de déshériter l’un de ses fils en lui léguant une fine bande de terrain en bordure de la vaste parcelle donnée au favori. Alors que le fils préféré fait construire un bel immeuble avec vue sur mer, le frère spolié attend paisiblement son heure en ourdissant sa vengeance. Il fait alors construire l’immeuble le plus étroit du Liban (du monde ?) sur sa bande de terre, afin de bloquer complètement la vue à l’immeuble de son frère. À la fois méchant et brillant, délicieusement maléfique !

Cet immeuble était très couru par les locataires jusqu’il y a quelques années, car il est en effet habitable dans sa partie la plus large. La vengeance fait en plus recette recette !

Ce lieu si incroyable, absurde, a complètement sa place dans cette ville où les contrastes, les couleurs, les humeurs, les températures trouvent une amplitude rare. Nous espérons pouvoir continuer longtemps à être surpris, étonnés, charmés par ces incongruités dont le Liban a le secret.

D’ici là, prenez soin de vous avec ce nouveau confinement.

À très vite !

7 Replies to “La colère en héritage”

  1. Encore un bien beau moment de lecture, de jolies photos, cela donne presque envie si l’actualité locale (chez vous) incite pas vraiment.
    bonne reprise un jour..
    bonne saison au grand

    1. Il te répondra dès qu’il pourra à nouveau parler, il s’est bloqué le bide entre les côtes à force de le rentrer 🙂

  2. Magnifique, encore une fois. Et la dernière image, wtf, j’aimerais bien voir les appart/couloirs où on peut pas se croiser…

    1. Et comment tu fais pour monter, j’ai du mal à imaginer comment ils ont pu caser un escalier (en diagonale ?).

  3. Une belle suite apres le « J’ai ete a la Psote …. » , entre mer et montagne, campagne et ville . Merci de nous faire partager ainsi avec talent vos decouvertes !!!

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