Vendredi matin, j’étais heureux ! J’avais ce précieux petit bout de papier pour aller chercher mon recommandé , synonyme de passe-partout … Ah oui, quand il s’agit d’aller à la Poste, le Covid devient complètement inoffensif et donc, on peut circuler et s’entasser à 12 dans le petit bureau sans la moindre entorse aux règles du confinement. Du coup, me voilà, me mettant sur mon 31 c’est-à-dire remisant mon pyjama au placard, rasant ma barbe de 45 jours, sortant la tondeuse pour rafraîchir ma nuque longue et m’enjouant de pouvoir profiter des 28 degrés au soleil de cette belle journée libanaise. Un peu excité à l’idée de mettre le nez dehors, me voilà parti en expliquant à tout piéton digne d’intérêt que j’allais à la poste, oui à la poste, et que j’étais en règle . J’aurais dû me douter en voyant la pitié dans leur regard qu’il y avait un loup mais j’ai préféré me laisser bercer d’illusion par les lentes mélopées du muezzin dans son appel à la prière du vendredi. Tout n’était que bonheur et volupté, retrouvant même avec plaisir la présence de nombreux piétons devant de la mosquée du quartier … Mais ça c’était avant le drame, messieurs dames. D’abord, je n’avais pas mesuré mon état physique entamé après un mois et demi où l’activité principale consiste à traverser 20 fois la cuisine de long en large (10 mètres à chaque fois, ça fait des bornes) lorsqu’il faut vider le lave-vaisselle. Bien sûr, je ne manque pas d’arguments pour éviter la tâche ingrate (« je bosse », « j’ai mal au genou », « j’ai une visio dans 3 minutes », « il y a ma série préférée qui commence », … ) mais je me laisse parfois avoir, pris en plein phares. Hormis cet entretien physique quasi-hebdomadaire, je suis bien allé une fois ou deux à la salle de muscu pour faire du vélo elliptique mais c’est pas trop mon truc … moi, j’aime l’air pur, les espaces, l’aventure … donc je vais à La Poste en sueur.

Bon, la douce chaleur ambiante n’aide pas à maintenir un Matthieu en forme mais c’est moche de dire ça au moment où la France gèle :). Me voilà arrivé au bureau de poste du coin et je découvre une petite file d’attente qui ne laisse rien augurer de bon. Je prends mon ticket, ce qui est assez rigolo quand on vit au Liban … Purée, numéro 50 et l’écran affiche 32, 10 personnes attendent. Là, je calcule rapidement, (c’est inné chez moi), et je me dis qu’il y a un petit souci. Réflexe d’autoprotection, je me lance dans des scénarios expliquant ce différentiel : la machine est pétée , plus probable: personne ne respecte les numéros de tickets, encore plus probable : elle n’a jamais marché. Cependant, un gus de la file insiste pour que je prenne mon ticket.

Et là, le show commence : le 1er acte met en scène un mec qui arrive avec 10 pulls dans un sac plastique pour vouloir les envoyer dans l’état, ne comprenant que la postière, aussi aimable que la pire secrétaire de la pire préfecture de France, exige un carton pour l’envoi (je ne peux pas lui donner complètement tort). Le truc, c’est qu’ici, les règles, ça se négocie, donc le gars n’accepte de repartir avec ses pulls sous le bras qu’après 10 minutes de palabres inutiles. Là-dessus, un gars arrive avec un dossier qui devait faire l’équivalent de 10 actes de ventes chez nous et se met à les sortir l’un après l’autre avec des feuilles et des billets qui tombent … 30 minutes d’attente et les gesticulations agacées des clients me font croire qu’il y a peut-être moyen que la connasse qui ne fait rien depuis le début à part faire semblant de regarder son ordinateur sans rien y comprendre va se mettre en action. Oui !!! ça y est !! Elle appelle les numéros, tout ça en arabe bien sûr … un mec essaye de me griller, je fais une manœuvre de blocage jambe gauche coude droit pour shooter sa cane à ce connard. Je me fais avoir, la cane était un leurre spécialement conçue pour faire la queue à la Poste et par une pirouette équilibre-double-flip-claquette-jambe-droite, il se retrouve devant moi sans que je réalise vraiment comment il s’y est pris. Je lui dis gentiment que j’étais là avant lui en lui montrant mon 50 et il fait semblant de ne pas comprendre. Les vieilles assises sur le banc pour personnes handicapées applaudissent en sortant des cartons de notation, lui attribuant une note de 10 pour sa figure d’une remarquable maîtrise. La moutarde me monte au nez et un employé de la Poste nous demande de sortir dans le couloir car c’est pas du tout Covid cette histoire. Résultat : on se retrouve à 10 dans un couloir de 5 mètres par 2 , mais what ? Le pépé en profite pour refaire un dépassement en ligne droite et se retrouve devant la postière . Purée, je vais me le faire ! Troisième acte: v’la le gars qui revient avec ses pulls en grillant tout le monde et une dame qui le suit de près avec des papiers. Ils doublent le vieux, je suis mort de rire et j’applaudis mais, il se plaint, le con. On en est à 50 minutes d’attente et une seule personne a été servie durant ce temps-là. Les pulls ne rentrent pas dans le carton, on est vraiment au spectacle ! Mais je ne sais pourquoi, cela ne me fait plus vraiment rire.

On est passé du 32 au 38, ben oui, il y a des gens fossilisés sous le banc qui ne réagissent pas … je désespère. Mon cours est 30 minutes plus tard et je tente d’appliquer la leçon du pépé doubleur afin de réclamer ce fichu recommandé à la postière la moins antipathique des deux. Je leur dis en anglais que je n’ai jamais vu ça, en résistant à l’envie de leur dire qu’ils ne s’étonnent pas de l’état du pays avec des fonctionnaires pareils. Le vieux me regarde avec du respect et une sorte de reconnaissance dans le regard, preuve qu’il comprend très bien ce que je dis, le fumier … Échec complet, je dois battre en retraite avec ce sentiment d’agacement qu’on peut avoir quand on se sent face à un mur d’incompréhension pour un pauvre malheureux recommandé.

Si vous avez déjà râlé à la Poste, je vous suggère un petit stage ici qui vous fera regretter l’efficacité française. Je crois que certains ministères Français ont même organisé des formations en immersion ici pour leurs employés les plus zélés afin de les reformater … Je me suis même rêvé à regretter le DMV de Corte-Madera, on est tombé bien bas. Toujours est-il que je ne sais pas de qui il vient mais il y restera !

Si je vous ai fait du mal un jour, un truc grave qui mérite un horrible châtiment, vous savez ce qu’il vous reste à faire … envoyez un recommandé !

Prochain épisode : on va essayer de faire reconnaître le permis américain de Baptiste au ministère des transports libanais … on n’est pas le cul sorti des ronces …

Bises

5 Replies to “J’ai été à la Poste…”

  1. Bon ben, on t’envoie un petit recommandé ce jour…. Trop de fou rires à lire tes péripéties.
    Un recommandé venant du Canada, tu en as pour trois bonnes heures…

  2. Mais mais on a pas eu de nouvelle de la remise du recommande. Je peux aussi te faire un colissimo avec du rhum, déjà faudrait qu’il parte d’ici.
    J’attend le renouvellement des papiers avec impatience (et pourquoi tu n’envoies pas ta chère et tendre…)

  3. De là à regretter le DMV… ? Au moins, tu m’as fait énormément rire ! Courage avec les 10 recommandés qu’on a envoyé, juste pour rire 🙂 Bisous Matt

  4. Pas mal cette petite escapade. J’attends tout de même de voir celle que tu feras ( ou Marie…) au ministère des Transports … Tu y as sans doute toutes tes chances ! 😉 Enjoy !

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