Depuis trois ans que nous sommes à Beyrouth, nous avons pu nous faire une idée assez juste des moments les plus agréables de l’année pour vivre au Liban. Le printemps est sans conteste la saison la plus plaisante de mon point de vue. La douceur des températures contraste avec la chaleur étouffante de l’été , les quelques tempêtes de l’hiver et les violentes pluies de l’automne. Au mois d’avril, tout n’est qu’odeurs enivrantes et gazouillis d’oiseaux. Les gardenias fleurissent dans toute la ville et embaument l’atmosphère au petit matin et au crépuscule. Les jasmins ne sont pas en reste et tout un tas d’autres arbres, dont j’ignore le nom, parent Beyrouth de sa plus belle robe colorée. Pour une fois, on oublie un peu la saleté des rues et les odeurs de poubelles. Ces quelques semaines sont le moment idéal pour se promener en laissant ses sens en profiter. Nous ne dérogeons pas à la tradition en cueillant des fleurs de gardenias et en les déposant dans une petite coupe avec un fond d’eau. Cela sent le printemps dans toute la maison, un vrai bonheur. Cette année, cette période a pris un peu de retard avec une météo plus pluvieuse en mars et avril qu’à l’accoutumée. On vit donc actuellement cette explosion florale avec pratiquement un mois de retard.

Même mes nouveaux plants de fruits de la passion ont décidé de pousser après le drame de l’été , des pousses magnifiques après un an de petits soins mais malheureusement mortes, trop arrosées par la femme de ménage. Espérant un jour en récolter les fruits pour faire des glaces, je m’en occupais avec amour, mais j’ai insisté en recommençant comme mon cher paternel dans ses deux jardins … c’est vrai, je ne vous ai jamais parlé de mon père ! Pour ceux qui n’ont pas la chance de connaître cette pile électrique de 78 ans (qui est d’ailleurs en pleine randonnée vélo solitaire en Bretagne, après le canal du midi et les chemins de Compostelle) , c’est un vrai amoureux des fleurs et de son jardin. J’essaye donc de l’imiter avec moins de talent, sur notre belle terrasse (soyons honnête, c’est surtout Marie qui gère). Nos fleurs ont aussi pris un peu de retard, à tel point qu’on a failli jeter certaines plantes, pensant qu’elles avaient pris le gel … Il s’en est fallu de peu mais il faut dire que nous revenions de quatre jours à Abu Dhabi, où la végétation est bien plus avancée avec l’absence presque totale de pluie.

Nous avions décidé de repousser notre voyage à Oman à l’an prochain pour un parcours moins long, nous avons donc jeté notre dévolu sur les Emirats afin de rester dans la même partie du monde. Les Émirats Arabes Unis sont un regroupement de sept états (un peu comme les USA) dont les deux plus influents et connus sont Dubaï et Abu Dhabi. Ce dernier est le plus grand et contient la capitale fédérale du pays, dont les ressources de gaz et de pétrole assurent une rente financière qui semble inépuisable.

une zone géopolitique sensible

Notre programme : rester dans la capitale avec un peu de culture, un peu de fun et surtout du repos. Que les choses soient claires : ce n’est pas forcément un endroit que j’ai envie de revoir mais je dois bien reconnaître que ce qu’ils réalisent est phénoménal.

Nous avons pris un hôtel sur l’île de Yas Island, à l’est de la ville. Nous sommes partis sans trop préparer le voyage et sans avoir d’idée réelle des distances. À tel point que, le premier jour, nous avons cherché à nous rendre dans un quartier conçu pour être complètement autonome énergiquement, curiosité signalée par le guide, et de partir à pied à la conquête du centre ville… Au lieu de cela, chantier à ciel ouvert et centre à 20 minutes de voiture à 130 km/h sur l’autoroute. Brutalement, nous avons compris où nous avions mis les pieds. Cette terre est un désert et les dirigeants, qui sont des investisseurs visionnaires, ont implanté une ville aux dimensions incroyables. Ce que nous prenions sur la carte, et dans le guide, pour une cité moyenne, s’étale en fait sur environ 2500 km2. Abu Dhabi est structurée en zones (loisirs, culture, nature, business, tourisme). Notre hôtel se trouvait donc sur l’île des « loisirs », avec le circuit de Formule 1, quatre parcs d’attraction et un centre commercial immense. L’idée initiale de Marie de faire pas mal de choses à pied, s’est avérée impossible à tenir, et tout doit être fait en taxi. C’est un peu étonnant car il y a une telle vision dans leur développement économique, que j’attendrais des transports en commun, mais il faut se rappeler que c’est un pays vivant du pétrole et donc de la voiture. Du coup, les taxis sont omniprésents et très bon marché, contrairement aux restaurants.

Ce qui m’a vraiment impressionné est le gigantisme de leurs travaux : ils construisent des villas partout, des immeubles, des parcs d’attraction, des musées. Objectivement, c’est esthétiquement très réussi, très soigné et très propre. Cela nous change du Liban.

Ceci n’est qu’un petit aperçu de la démesure qui frappe cette partie du monde. En effet, ils ont construit un Louvre, conçu par Jean Nouvel, ils sont aussi en train de construire un Guggenheim et un London Museum qui ouvriront en 2025 et ils viennent de lancer le projet de deux autres musées, tout ceci, dans le même secteur, l’équivalent d’un arrondissement parisien.

Le Louvre est vraiment magnifique, ouvert sur la mer, avec la présence de l’eau partout et les collections y sont organisées par période, mélangeant les diverses civilisations. C’est très réussi et la visite vaut clairement le coup. On en a profité pour faire aussi un peu de tourisme nature avec une balade dans la mangrove, préservée au milieu de cette frénésie de constructions. C’est un lieu très paisible, foisonnant de vie et un biotope très important dans l’une des mers les plus inhospitalière du monde par sa température.

Sinon, le point d’orgue incontournable de ce séjour a été la visite de la grande mosquée absolument magnifique.

C’est un véritable joyau architectural qui met en avant la tolérance et l’ouverture. Tout est en marbre et or, dans des dimensions majestueuses. Impressionnant. La mosquée domine l’entrée du centre ville et semble flotter au-dessus du sol. Elle est décorée avec beaucoup de goût et est le joyau des diverses constructions que nous avons pu voir.

Pourtant , il y a plusieurs constructions incroyables dont un hôtel de luxe qui est en fait un palais. Le seul hôtel avec sept étoiles au monde. On a pu en visiter une partie, et c’est effectivement assez somptueux, les distributeurs d’or ( oui oui, vous avez bien lu) étant le comble du luxe pour les visiteurs de ce palais où tout est poussé à l’extrême. Malgré cela, la mosquée reste pour moi, le sommet du raffinement d’Abu Dhabi.

On a fini ces quatre jours en profitant des parcs d’attraction, qui nous étaient ouverts gratuitement avec notre hôtel. Un parc par jour gratos ? On ne s’est pas fait prié et donc on a passé une fin d’après-midi au parc Warner, un peu kitsch et surtout fait pour les enfants, et une matinée au parc Ferrari World avec le roller-coaster le plus rapide au monde accélérant de 0 à 240 km/h en 5 secondes. Grâce à une affluence très faible, on s’est bien amusés avec Elise à faire toutes les attractions à fond, le cou de Marie l’obligeant à déclarer forfait après quelques vrilles …

Après ces quelques jours passés à Abu Dhabi, j’ai ressenti une impression étrange, presque un malaise. Il apparaît clair que ce qui est fait ici est vraiment très beau, avec une vraie vision. J’ai eu la sensation de voir sous mes yeux la mutation de notre monde. Quand l’Europe se débat dans la guerre, les difficultés économiques, les blocages politiques, et qu’en comparaison, on constate ce qui est fait dans les Émirats avec un tel faste, une telle efficacité et une telle débauche de luxe, je n’ai pu m’empêcher de penser que le phare du monde est là-bas, qu’il est impossible que tout ne se passe pas dans cette partie du monde dans quelques années (ce n’est pas encore le cas, quoique … ). Mais, aussi fastueux soit-il, tout cela manque cruellement d’âme… Je me suis constamment posé la question : « mais où vivent les gens, ici » ? Nous avons vu des immeubles, des restaurants pour touristes, des villas en construction, mais où sont les vrais lieux de vie ? Nous y avons passé peut-être trop peu de temps pour les trouver, nous étions peut-être trop loin du centre, nous étions peut-être trop touristes, mais je sens, au fond de moi, que cette ville sortie du désert ne possède tout simplement pas ces endroits qui ont du charme, qui sentent la vie et qui te font t’attacher à un lieu. Pourtant, Abu Dhabi est censée être un peu plus authentique que Dubaï, le temple du bling-bling. Autant de superficialité me fait mieux comprendre pourquoi tous ces zombies influenceurs des réseaux sociaux en font leur paradis … C’est joli et impressionnant mais cela reste un décor, un magnifique décor pour attirer le monde entier, un décor pour attirer les énergies à venir, mais un décor désespérément sans vie …

Alors, même si nous avons passé un bon séjour et que nous sommes contents d’avoir vu ce qu’ils font de ce bout de désert, j’étais vraiment content de retrouver Beyrouth et son foutoir permanent, la vie libanaise avec ses joies et ses tourments… J’étais presque content de retrouver les poubelles dans les rues ( là, je m’emballe un peu … ).

Tout sonne ici tellement plus vrai et les fleurs y sentent définitivement plus bon …

À bientôt