Ça fait un moment qu’on ne vous a pas donné de nouvelles. C’est pas que je n’avais pas envie mais on a connu plusieurs phases qui nous ont empêché de vous raconter nos aventures. Au premier rang, nous avons été confinés pendant 15 jours ce qui nous a scotché à la maison, tout comme vous. Les règles de déplacement étaient plus light avec une circulation alternée mise en place, interdiction de rouler le dimanche et regroupements interdits mais aussi la plupart des commerces fermés qui rendaient toute incursion loin de Beyrouth bien incertaine. Du coup, il n’y avait pas grand chose à raconté qu’un quotidien rythmé par les visios des uns et des autres, et quelques balades dans le quartier histoire de s’aérer.

Nous avons donc dû hiberner, après 10 jours de vacances qui nous avaient permis de récupérer, car on fait les petits malins via ce blog mais on avait accumulé pas mal de fatigue physique et morale. La météo et le couvre-feu avaient fait le reste pour nous contraindre de rester au chaud, et de ne pas risquer la glissade fatale sur les routes libanaises qui ne demandent que ça. Nous avions fini d’acheter les derniers meubles, faisant travailler les artisans locaux pour obtenir les meubles sur mesure que nous n’arrivions pas à trouver dans les quelques magasins ouverts à ce moment-là. On avait bien tenté de retourner aux grottes de Jeita avec les loulous mais elles fermaient pour l’hiver, on a fait chou blanc. Durant ces vacances, on a quand même réussi à régler le problème de connexion dont nous souffrions depuis notre arrivée ici. Après avoir particulièrement galéré en ne pouvant pas nous connecter à 3 en même temps, Elise restant toute la journée face à un écran noir en mode radio pour ses cours à distance, nous avons finalement obtenu la fibre en quelques jours, ce qui est un exploit unanimement salué par les libanais (j’ai dû pleurer au téléphone en disant que j’étais prof de maths et que j’en avais vraiment besoin pour mes pauvres élèves 🙂 ). En tout cas, ça nous a bien soulagé pour supporter les deux semaines de travail à distance et pouvoir tenir le débit nécessaire à la famille à la maison.

Du coup, nous nous sommes un peu sentis prisonniers durant cette période avec l’incapacité de sortir de Beyrouth, dans un demi bout de bande de terre … D’autant qu’on continue à découvrir les bons et les mauvais côtés du Liban. Par exemple, on a dû mettre les doigts dans la corruption qui grippe tous les rouages de la société de ce pays. Marie s’est débattue pendant deux mois pour obtenir une dispense du brevet libanais afin de scolariser Elise et Baptiste au lycée (c’est une obligation dans ce pays), ce qui a entraîné une avalanche de preuves administratives à obtenir entre école publique américaine et lycée de San Francisco. Il a fallu fournir pour chaque dossier une liste de timbres qui jouent un rôle fiscal. Il en faut pour toute démarche (enregistrement chez le notaire, achat d’électronique) et c’est une petite délectation de les voir tamponner à tout va un peu partout, comme sur notre contrat de location :

Pour notre dossier, on nous demandait donc 4 fois 25 000 LL (environ 3 euros au cours du marché noir) mais , là où ça devient marrant, c’est qu’il est super difficile de trouver des timbres, même à la poste. J’avais réussi à trouver des timbres de 10 000 LL et j’avais anticipé en en prenant quelques-uns. En revanche, les 5000 sont restés introuvables malgré plusieurs milliers produits par l’état libanais très récemment. Marie a bien essayé de négocier, de proposer 40 000 LL au lieu des 35000 mais les fonctionnaires se sont sentis très offensés, car cela serait de la corruption de fonctionnaire (marrant comme délit au Liban). Elle a proposé de couper les timbres de 10000 en 2 et ils n’ont curieusement pas voulu non plus. En fait, le seul moyen est d’attendre un hypothétique point de vente des timbres ou de les acheter au marché noir à 5 fois le prix. Où se situe l’arnaque ? On ne sait pas mais on a dû trouver un personnel du lycée pour aller payer 100 000 LL pour nos 4 timbres à 5 000 … On a contribué à la corruption, comme chacun, pour ne pas attendre 6 mois et mettre la scolarité de nos enfants en jeu. On a cédé, contribuant à ce qui gangrène cette société dans ses moindres recoins. Quand on imagine qu’il y a tout un service du ministère des transports qui est chargé de l’entretien des chemins de fer alors qu’il n’y a plus de trains depuis 40 ans au Liban, cela laisse mesurer l’ampleur du phénomène.

D’un autre côté, on prend plaisir à connaître ces gens qui sont d’une gentillesse infinie et d’un courage remarquable (même s’il faut bien dire que le découragement et la désillusion sont généralisés). Je suis ébahi par la qualité de mes élèves, bosseurs, investis et vraiment sympas. Hier, pour le dernier jour de cours de cette fameuse année 2020, ils ont fait une belle fête à chaque récré, musique à fond audible à 2 km à la ronde , tous habillés en rouge à danser sur des chants de Noël… On sent vraiment ce potentiel à se lâcher à la moindre occasion et c’est vraiment très émouvant après autant de frustrations. Travailler ici est un vrai bonheur même si les habitudes des collègues ont intégré la corruption. Il faut donc tenter de ne pas laisser trop traîner les DS si on ne veut pas les retrouver traités en avance par les élèves à coup de cours particuliers. La pression est forte et tous les moyens sont bons pour réussir. Arriver à changer les habitudes, à mettre en place les nombreuses réformes à marche forcée au milieu d’un système éducatif écrabouillé par le COVID, l’explosion et la crise économique, n’est pas de tout repos et laisse peu de temps pour profiter. On a quand même pris du temps pour aller nous promener dans la montagne le week-end dernier alors que le froid a commencé à faire son apparition (un 10 degrés bien tassé). L’hiver se signale par des pluies diluviennes très brutales, ce que l’altitude transforme en neige. À côté de cela, on a un petit 17 à Beyrouth et même 27 mardi dernier ce qui fait qu’on a du mal à croire qu’on est en hiver.

depuis notre appartement, les sommets se parent de blanc

Les torrents de pluie sont impressionnants, engendrés par la géographie du Liban et les collecteurs du Liban. Il nous est arrivé par deux fois d’avoir jusqu’à 50 cm de pluie alors que nous étions en voiture.

Il faut dire que les évacuation amènent directement sur l’autoroute qui est entourée de murs donc c’est assez physique comme phénomène, ça fait monter l’eau ;). Les beyroutins acceptent avec flegme de voir des énormes blocs de plastique qui délimitent les voies de débouler la pente comme de vulgaires barques.

Ça, c’est la voie de droite de l’autoroute qui monte au nord

Notre balade aux Cèdres, nous a permis de faire connaissance avec ces arbres mythiques qui nous ont un peu atristés car ils font pale figure à côté des arbres des forêts de l’immensité américaine. Mais il faut juger à la qualité et pas à la quantité d’après les guides locaux … Cela nous a cependant permis de nous aérer et de mesurer les petites distances qui permettent d’aller skier depuis Beyrouth en 45 minutes.

Sinon, nous avons pu assister à un concert d’Ibrahim Maalouf, particulièrement agréable et marquant au coeur d’un des quartiers les plus touchés par l’explosion. Les initiatives sont nombreuses pour les ranimer et ça marche !

La foule était présente et a probablement dépassé les prévisions des organisateurs qui avaient installé des milliers de chaises, une sur deux étant consciencieusement scotchées d’une croix afin de contraindre le public à la distanciation sociale … Morts de rire, on s’est demandé combien de temps ça tiendrait … ben pas longtemps ! Il est incroyable qu’ils y aient crus :). Nous avons passé une excellente soirée et on a profité de la douceur du soir pour rentrer à pied, et découvrir quelques recoins charmants avec vue sur la Méditerranée.

Les vacances sont à présent là depuis ce matin. Nous nous apprêtons à fêter notre premier Noël en France depuis 5 ans. Un séjour que les conditions sanitaires rendent compliqué. Il était cependant nécessaire de rentrer car je m’inquiète beaucoup pour Marie. Vous la connaissez, elle est très mesurée au volant, toujours à anticiper ce que les 8 voitures devant risquent de faire et les 5 de derrière. Je craignais pour son adaptation ici … Je ne sais pas si c’est notre voiture 4×4 avec pare-buffle qui fait ça mais elle s’est transformée en libanaise en 2 coups de cuiller à pot. La voilà maintenant insultant un automobiliste venant à fond mais de la droite en jurant ne jamais le laisser passer. Elle utilise le klaxon avec une dextérité et une virtuosité qui nous épate. Quant au respect des feux de circulation, on a tous oublié. Le seul attachement à un vague souvenir du code de la route est l’obstination de Marie à mettre son clignotant, ce qui affiche « je suis un étranger » immédiatement pour les autres automobilistes. C’est pas grave, elle réplique en les injuriant et en leur montrant quelques petites manoeuvres à la FX … L’autre jour, un mec s’est arrêté et m’a félicité pour la conduite de ma femme, plus libanaise que libanaise. Du coup, on a mis un autocollant sur le pare-brise arrière « FXtouch », ça leur permet de se méfier (FX est connu comme Rémi Julienne ici). Ce type qui nous arrête en nous félicitant d’une intégration et d’une adéquation aux moeurs du pays, c’était plein de respect, avec une reconnaissance dans le regard, c’était assez touchant mais en même temps, il va falloir que je mette Marie en cure pour la réadapter avant qu’on reprenne le volant sur les routes françaises sinon elle va nous péter tous les points de son permis en 500 mètres.

Une des raisons impérieuses de notre retour est le délicieux petit accent de notre Élise. Une vraie éponge capable de s’imprégner en quelques jours de ce merveilleux français mi-suisse, mi-jurassien, mi-canadien (oui, ça fait 3/2, mais c’est le Liban 🙂 ). Le rythme est ralenti, les a ont une vague ressemblance avec les o. C’est assez drôle et charmant mais il faut qu’on la ramène en France pour que, sans marché noir, elle retrouve le bon timbre …

À très vite

4 Replies to “Ils sont timbrés …”

  1. C’est bien cool tout cela, juste je comprends pas se besoin de faire une fxettte sur les talents de conductrice de ta femme,
    Elise parait comme un poisson, et le grand ?
    profitez des réveillons a max 6 ou pas pour le 31 et du froid
    bises

    1. Coucou Thierry,
      T’as vu, il exagère ! Il ne dit pas le nombre de feux qu’il a cramé pour faire soit disant comme les locaux et les rues prises à contre-sens. Ton filleul va très bien et prend des cours particuliers en libanais… La vie pour des ados ici est plutôt sympa malgré les crises sanitaires et économiques.
      Joyeux Noël. Bises
      PS : On passe Noël en France mais le nouvel an sera libanais.

  2. Ibrahim Maalouf??!! J’adooore!!
    Tu aurais pu mette un petit extrait pour Tata Nini quand même!! Tout comme une petite vidéo de MarieFX au volant de votre 4X4!
    Quoi qu’il en soit je suis à nouveau ravie de te lire et découvrir vos aventures!
    Vous nous manquez… Les petits Gros vous embrasse tous les 4.
    Bonnes fêtes mes Shavounet!!

  3. Encore une lecture aux thèmes variés, qui m’amène à une question Matth’ : As-tu laissé Marie conduire lors des inondations? Pas besoin de respecter le marquage au sol, je doute qu’elle ouvre la fenêtre pour l’incendier… Moi, je pense que « ça se tente ». Le plus, serait d’en avoir une vidéo en live… Je te laisse méditer tout ça.
    Je ne reviens pas non plus sur les tables de multiplications libanaises qui me semblent quelque peu différentes des nôtres, surtout avec les timbres…🤔
    Quant à votre retour en France, vous devez l’attendre avec impatience. Vous y êtes peut-être même déjà? Profitez-en bien!
    Au plaisir de vous lire.

Comments are closed.