Aujourd’hui, on quitte notre appartement au 19ème étage pour envoyer nos meubles à Bordeaux. Il me reste un an de contrat au Liban mais nos proprios veulent vendre l’appartement dans lequel nous sommes. Devant cette incertitude (compte-tenu de la conjoncture, il y a eu pas mal de visites et pas d’offre … à plus de un million de dollars l’appart, on peut comprendre ) et les relations qui se tendent un peu avec eux, on va donc bouger vers un meublé pour un an. Le quartier sera plus animé, l’appartement moins haut (encore traumatisé par le tremblement de terre, je ne veux plus vivre ça) et la vue moins belle puisque nous serons au 1er étage d’un immeuble de Hamra.
Il faut aussi qu’on revienne à la raison, on ne vit pas à deux dans un 320 m2, ça n’est pas raisonnable. En faisant les cartons, j’ai découvert une partie de l’appartement que je ne connaissais pas, je m’y suis même perdu et j’y ai retrouvé un pote disparu depuis un an… On a donc décidé avec Marie de vivre dans plus petit. Franchement, vous allez rire mais ce n’est pas si simple à trouver … ou alors c’est un peu pourri. Du coup, on va se retrouver dans un appart de 200 m2 et moins cher, qui nous permettra de faire une transition d’un an avant de retrouver nos standards français.
Voir notre vie être à nouveau remise en cartons, pour un autre lieu, une autre aventure est à la fois excitant et émouvant. Même si notre expérience libanaise n’est pas finie, nous sommes clairement à un tournant : on largue les amarres, au moins matériellement … Nous avons traversé vents et marées, avec un stress latent qui ne nous a pratiquement jamais quitté depuis 4 ans (explosion, crise économique, crise énergétique, inflation galopante, … ) mais cette première étape vers un ailleurs qui se profile plus concrètement aujourd’hui est un crève-coeur. Il ne me semble pas avoir déjà eu ce sentiment. De Fublaines, c’était l’excitation en laissant derrière nous une partie douloureuse de notre vie. Depuis Tiburon, c’était un déchirement car j’adorais ma vie là-bas : une formidable bande de potes, un environnement incroyable, un espace de jeu infini pour les voyages … tout était réuni pour me briser le coeur. Peut-être est-ce parce qu’on a déménagé en plein covid, confinés et isolés, que cela m’a paru bizarre. Peut-être est-ce aussi la perspective de savoir où nous allions pendant les 5 ans à venir et l’excitation d’une nouvelle aventure qui a rendu ce départ moins triste ? Ou alors est-ce la durée de ce déménagement qui le rend plus douloureux ?

En effet, on le prépare depuis presqu’un mois avec Marie, triant méticuleusement les choses qu’on emmène à Bordeaux, celles qu’on devait vendre ou encore celles qui vont nous suivre pendant encore un an ici. Il nous a fallu mettre le nez dans les affaires des enfants, concrétisant un peu plus fermement leur envol réussi loin de nous. Les choix que nous avons dû faire n’ont pas toujours été simples : se délester du piano qui accompagne Marie depuis son enfance, des canapés pour lesquels nous nous étions saignés et qui ont vécu les premiers allaitements et les sauts périlleux des enfants. Il faut en même temps faire la transition vers le nouvel appartement et accepter le fait d’abandonner les plantes qu’on a bichonné. C’est un peu étrange de s’émouvoir pour un fruit de la passion qui n’a même pas encore donné de fruit ! Ça me rappelle l’insoutenable légèreté de l’être de Milan Kundera et ce chien Karénine, dont la mort m’a tiré des sanglots pendant 40 pages. J’ai pleuré toutes les larmes de mon coprs pour un chien fictif ! Alors je peux bien avoir le coeur brisé par mon petit fruit de la passion que j’ai vu grandir depuis ses premières pousses, que j’ai tutoré avec amour, lui enseignant de ne pas s’accrocher à n’importe qui car « on ne grimpe pas quand on ne connaît pas », le couvrant d’attention dans les hivers rigoureux à 10 degrés du Liban. Je suis assis dans mon canapé (du moins c’est encore le mien pour quelques heures) avec l’armée de déménageurs qui s’agite et je vois bien que mon fruit de la passion s’inquiète de tout ce remue-ménage, qu’il sent bien ce qui se trame. Il faut dire que c’est un fruit de la passion tanzanien, ça explique son caractère émotif.
Du coup, mon vague-à-l’âme est à l’unisson de ma plante adorée. Je suis heureux de me projeter vers notre appartement de Bordeaux, pour retrouver des amis qui me manquent, me rapprocher de la famille, des enfants bien-sûr, … mais j’ai un peu peur de ce qui m’attend. Céline me parlait de l’impatriation: ce moment où tu te rends compte que tu as perdu les codes de ton propre pays et lors duquel tu dois redécouvrir son fonctionnement. Par exemple, nous sommes allés voir un spectacle de Sophia Aram à Noël, cadeau de mon beau-f, et je n’ai pas compris les trois quarts du spectacle car je ne connais plus les hommes politiques de mon propre pays, ignorant les polémiques et les petites phrases qui les agitent. Du coup, je me suis senti brutalement en décalage. Je regarde souvent « N’oubliez pas les paroles ». Ok c’est pas très intello mais je préfère cela au JT anxiogène de France 2 (j’aime bien en revanche le Journal des Solutions de France 3 qui montre qu’il y a aussi pas mal de choses qui vont bien en France). Donc je me retrouve souvent devant cette émission de variété, me régalant des chorégraphies ridicules du pseudo-public derrière le chanteur, et rêvant d’y voir un jour mon pote Jules se tortillant avec frénésie comme lors de toute soirée dignement arrosée . Je suis certain qu’il ferait un tabac ! Donc je suis devant ma télé et je suis assez régulièrement coi car le titre hurlé à la mort, par le candidat me fait me sentir indubitablement ignorant, n’ayant aucune connaissance de cette chanson (pour certaines d’entre elles, je m’estime chanceux de ne pas les connaître 😀 ). On peut ressentir la même chose pour les films, livres ou spectacles … me voilà acculturé, étranger à mon propre pays , incongruité quelque peu angoissante.
Et puis, il y a cette incertitude professionnelle . Rien n’est fait pour notre retour, l’Éducation Nationale ignore complètement la valeur ajoutée des enseignants qu’elle envoie à l’étranger. Elle les prête au Ministère des Affaires Étrangères puis elle ne valorise pas le surplus d’expérience, l’enrichissement culturel qui en découle. Elle les maltraite même parfois comme certains retours d’expérience le prouvent. Je ne vais pas me plaindre, j’ai un boulot garanti au retour, c’est une chance inouïe qui rend l’expatriation tellement plus facile. Elle m’a aussi donné ces opportunités exceptionnelles mais, d’un autre côté, rien n’est fait pour nous simplifier le retour ou nous donner des perspectives attirantes. Du coup, cela rend notre futur très incertain … retour sur l’académie de Créteil, mutation à Bordeaux, affectation en Gironde en TZR, en poste fixe dans un collège REP+ au fin fond de la Dordogne, des opportunités ailleurs dans le monde ? Si nous rajoutons à cela la nécessité pour Marie de travailler et son envie de ne pas reproduire les rythmes effrénés qu’elle a pu connaître dans le passé, son inquiétude de sa mise à niveau professionnelle, et notre profonde envie de serrer nos enfants dans nos bras plus souvent, ce cocktail d’incertitudes rend ce jour assez spécial, concrétisant un peu plus notre désir et notre crainte de ce départ inéluctable. Je suis heureux mais triste, impatient mais inquiet, attaché au Liban mais désabusé, …
Aussi, ma vie qui se met en cartons autour de moi en ce moment me pousse à vous décrire ce sentiment étrange. Et voir mon fruit de la passion gratter au balcon ne me rassure pas, définitivement.

À bientôt pour Oman, ça avance mais il y a beaucoup à raconter.
La tristesse et la gaité, vous partagez bien vos cartons bien pleins.
Allez 1 an pour préparer la suite c’est pas tous les jours comme cela.
Voilà une destination que je verrais pas.
Plein de belles choses
Tu fais bien ressentir que EN ne valorise pas ceux qui le méritent mais …..
La bise
Comment de ne pas être triste en lisant ton post? Mais tout en ayant un rictus, car le ton de Matth est là, et toujours là. Il est facile de visualiser votre vie et appartement tellement tu les décris bien, même sans y avoir mis le premier orteil!
Tes interrogations sont légitimes, mais font aussi le sel de votre vie. Alors un peu de poivre pour pimenter votre éventuel retour en France ou un départ pour un ailleurs, ne nuit pas. Le tout faisant un assaisonnement tropical, voire tanzanien! Le tout vécu avec passion 😉
Profitez bien des quelques mètres carrés qui vous entourent, car 200 ce sera juste ensuite ;D
Ciao les amis !