Escalade

Après tout un été à se demander si cette dernière année au Liban allait être possible, à peser le pour et le contre, à essayer d’anticiper un retour prématuré en France en cherchant des postes sur Bordeaux au cas où, j’ai finalement décidé de retourner au Liban.

Plusieurs raisons motivaient ce choix : tout d’abord je ne me voyais pas vivre 9 mois séparée de Matt, ce choix d’expatriation étant au départ un projet de couple, je ne voulais pas qu’il en subisse les conséquences seul. Et puis, les années aidant j’ai fini à m’attacher à lui bon an mal an et j’étais assez inquiète de le laisser seul, lui qui au bout de 4 ans ne sait toujours pas commander sur l’application Toters et se faire livrer les gallons d’eau, j’avais des doutes sur ses chances de survie.

Et puis plus égoïstement, je voulais profiter à fond de ce pays que les quatre tumultueuses années précédentes m’avaient empêchée d’arpenter autant que je l’aurais voulu.

Depuis l’an dernier j’ai intégré l’équipe de Beyrouth Accueil qui propose des activités sympas et variées allant de la rando à la visite de musée en passant par l’apéro. Nous avons ici un groupe de copains avec lesquels nous partageons de bons moments et puis, yalla, cette expatriation étant certainement la dernière avant un retour aux sources, fonce Marie !

Bon l’enthousiasme, s’il y en a eu, a été de courte durée car à peine le temps d’un restau de retrouvailles avec des copains et une super rando au lac Chouwen, le ton a été donné : cette année allait être pourrie et boucler la boucle.

Les bombardements israëliens se sont accélérés et rapprochés nous obligeant à nous enfermer et limiter au maximum nos déplacements.

On est bien soulagés d’avoir déménagé nos meubles et troqué notre 19^ème étage avec vue dégagée à 360 degrés pour notre aquarium au 1^er car si nous n’avons d’autre vue que les poubelles, nous ne sommes pas réveillés par les bombardements incessants et ne voyons pas les dégâts occasionnés par les tonnes de bombes. Le bruit des drones, volontairement bruyants, lui nous parvient, incessant et couvrant même celui du ventilateur.

Notre quartier est transfiguré, les immeubles jusqu’alors assez vides regorgent de réfugiés, les voitures pullulent, garées sur les rares trottoirs et en double file, les poubelles dégueulent, la circulation déjà compliquée en temps normal est devenue impossible en voiture.

Hier nous nous sommes échappés pour aller faire une randonnée à Jounieh jusqu’à la cathédrale Harissa. Un grand bol d’air et de verdure qui nous a fait le plus grand bien et était devenu vital après une semaine terrés chez nous. Ma seule tentative de sortie de la semaine pour prendre un verre avec une copine avait été écourtée par les bombardements tuant Nasrallah. Au bruit effrayant des tonnes de bombes avaient succédés les cris et les pleurs des réfugiés qui venaient d’arriver dans le quartier après avoir tout abandonné.

Toujours aucune nouvelle de l’ambassade. Nous espérions en avoir après le bref passage de notre ministre des affaires étrangères qui a dû être réveillé par le bombardement de la nuit de lundi à mardi, à 500 mètres de la Résidence des Pins mais non. Nous apprenons les décisions ou plutôt indécisions du gouvernement comme vous par voie de presse. Un porte hélicoptère serait parti lundi de Toulon pour une arrivée sur zone 5 à 6 jours plus tard… Bon si le trajet sur le porte-avions ne nous tente que moyennement connaissant la propension à vomir de mon mari, un petit tour en hélico nous déplairait moins.

Lors de notre rando d’hier, nous avons appris que les rares informations que nous avions quant aux procédures en cas d’évacuation étaient toutes différentes. Cela nous a rassurés quant à la fiabilité de notre Ambassade et à sa capacité à faire face à la situation. On se sent en sécurité et dans de bonnes mains avec un président écouté quand il demande que cessent les bombardements (une centaine le lendemain) et un ministre des affaires étrangères qui exhorte les Israëliens à ne pas envahir le Liban. On dirait Matt qui donne une direction à ses élèves, ils partent à fond dans l’autre sens systématiquement. Mais bon, soyons honnête c’est difficile de se préparer pour un petit état comme la France à un embrasement aussi brutal et rapide…

On n’arrive même plus à distinguer la Une du Gorafi de celle des quotidiens…

Quand j’entends escalade, ça m’évoque Tom Cruise et le générique de Mission Impossible 2 avec les falaises rouges de l’Utah. Pas le rouge du sang des milliers de civils innocents, ni la cendre des immeubles effondrés et un million de réfugiés. Ça, c’est une boucherie mais « Boucherie au Proche-Orient » ça sonne beaucoup moins bien qu’«escalade au Proche-Orient » et puis ça prête à confusion, je vous l’accorde. Ceci étant dit si vous entendez quelqu’un qui ose encore prononcer le mot « escalade » en parlant des événements au Liban, je vous serais reconnaissante de lui péter ses deux genoux.

Matt va bientôt faire des dossiers pour des postes à l’étranger pour septembre 2025 mais vu l’état dans lequel nous laissons les pays que nous quittons, je crains qu’il soit persona non grata et qu’une fiche circule à son propos. Effectivement si nous avons quitté San Francisco avec un décor de Walking Dead, je n’ose imaginer ce à quoi ressemblera Beyrouth à notre départ.

Sur ce je vous laisse, moi je vais regarder Ethan Hunt grimper les falaises de l’Utah.