Dernières semaines au Liban, on saute sur toutes les opportunités de découvrir ou redécouvrir des lieux, expérimenter des moments intensément libanais. On recherche les pépites cachées de ce pays tout en restant saturés de bruits et d’agitation. Curieux mélange … mais j’ai l’impression que c’est souvent le cas dans les moments de rupture dans la vie où tu as à la fois des regrets et le besoin de tourner la page.

Au milieu des nombreuses tâches de la fin d’année, je me suis lancé dans une carrière cinématographique naissante en répondant à une annonce de casting pour jouer comme figurant dans un film se passant au milieu de la seconde guerre mondiale au Liban. Ils recherchaient des soldats français aux prises avec une évacuation de maison pour y réaliser des bains militaires, qui tourne mal puisqu’un patriarche y perd la vie. Au menu : frapper des gosses, malmener des femmes, gérer une foule… En tant que prof de maths, on est habitués à gérer des situations de panique générale et à maltraiter des générations de pauvres hères : ce rôle est clairement fait pour moi ! Après un casting brillant où j’ai fait étalage de mon jeu d’acteur naissant avec force et conviction, me voilà recruté comme figurant trouffion de base, prêt à mettre des coups de crosse et à tirer sur la moindre vieille femme véhémente face au prestige de mon uniforme. Bon, ça, c’était avant le drame, messieurs dames, car, autant le dire tout de suite, j’ai vécu l’une des pires expériences de ma vie.

Arrivé le jour du tournage, on y va en bande car il semblerait que mon jeu d’acteur ne soit pas pour grand chose dans ma sélection, et que tout homme de plus de 5 ans ânonnant quelques mots en français ayant postulé a été engagé, quelle que soit sa capacité à prendre la lumière et à jouer avec talent le mépris ou l’absence de compassion. Je me retrouve avec 3 potes pour aller sur le lieu du tournage, une vieille maison dans le quartier chrétien de Beyrouth. Les gars ont déjà effectué quelques jours de tournage et ne sont pas vraiment enthousiastes … « guys, on va être célèbres comme les méchants soldats les plus crédibles de l’histoire du cinéma libanais ! Un peu d’engouement ! ». Et là, je découvre les costumes et je comprends mieux. Mais c’est quoi ce bordel ?? on me file un short en 56 alors que je rentre tranquille dans un petit 42, une ceinture avec une bretelle qui ne ferme pas dans le bon sens et des bottes de pêche en caoutchouc peintes avec du goudron sur lesquelles ils ont collé des lacets trop longs. Mais what ? On a l’air de boyscouts bedonnants qui ont fait une randonnée sur le site d’une marée noire !! J’ai de la chance, je chausse petit mais Cédric fait du 46 et nous a rejoué la scène de Balasko dans les bronzés durant 2 jours. Le pire est à venir : attifés comme des guignols, on nous file des fusils de 15 kg et des casques syriens trop grands ou trop petits. Et ben, on est bien les gars… effectivement on est bien crédibles, on dirait vraiment De Funes et Bourvil dans la grande vadrouille !

Évidemment, dans la trentaine de soldats figurants, c’est la lutte pour avoir les casques les plus grands car, 1) c’est déjà plus confortable 2) on a l’air moins con. Le souci est qu’on rend les fusils et les casques après chaque scène et, on passait d’un casque trop grand à un casque trop petit d’une scène à l’autre. Mais ça va se voir dans le film, non ? Ce n’est pas un film comique mais ça va peut-être le devenir !

Bon, on n’ avait pas le droit d’avoir des portables pour ne pas diffuser d’images. Mais comme on est des rebelles, on a fait quelques photos volées et je vous livre ici ces clichés humiliants (sans le casque …) :

Je passe sur les scènes mythiques que nous avons tournées où nous devions descendre en courant d’un camion militaire ( au bas mot, saut d’un mètre 50 ) avec le casque, le fusil, les bottes pourries, le short trop grand : un grand moment de cinéma dans lequel je me suis encastré durablement dans la jeep qui suivait le camion, Christophe en rigole encore. Au moins je n’ai pas perdu mon casque, contrairement à la plupart de la troupe, tout ça sous les engueulades du chef de plateau … Au-delà de tout ça, des heures à attendre en plein cagnard, à tenir la pose debout face à la foule de figurants attirés par les 35$ par jour, nous toussant dessus à 20 cm du visage, on se fait hurler dessus en arabe car on en était à la 20ème prise qui ne convenait toujours pas (il faut dire que la foule jouait à contresens la joie pour la colère et réciproquement à chaque fois, rendant fou le chef opérateur). Bon, je me suis fait plaisir dans une scène dans laquelle je devais protéger le colonel et dans laquelle je distribuais effectivement quelques coups de crosse bien réels, entraînant la plainte de quelques figurants… J’ai défendu l’honneur de la France !! Bon, c’était horrible et je n’ai tenu que deux jours, me désengageant pour la suite du tournage. J’espère qu’ils ne couperont pas tout au montage pour ne pas avoir subi cela pour rien, le film s’appelle « Sur la route de Jérusalem » et devrait sortir dans un an si les acteurs ne meurent pas avant car ils n’étaient pas très fringuants !

réalisateurs du film
les réalisateurs de ce film … j’aurais dû me méfier

Bilan des courses : j’ai eu trop chaud, j’avais mal aux jambes en restant debout pendant 10 heures, j’ai eu une fravture de la hanche à cause de la jeep et j’ai chopé le covid à force de me prendre des miasmes devant la foule (qui m’a mis à plat pour 15 jours, que j’ai ensuite filé sympathiquement à Marie), ça valait vraiment le coup !

En parlant de cinéma, ma troupe de théâtre, dans laquelle je ne joue pas cette année faute de temps et d’énergie mentale, a récemment tourné quelques prises dans le quartier « Downtown » de Beyrouth pour la promotion de la future pièce. après leur partage sur le groupe Whatsapp, j’ai été choqué de ce que j’ai vu : un quartier mort, vide de tout habitant, un vrai décor de film.

Nous étions venu dans ce quartier au début de notre aventure libanaise, car c’était juste à côté de notre Airbnb, mais rien n’a bougé pendant 5 ans. On y est donc retourné le dimanche suivant pour voir ça de nos propres yeux : un épisode de « la 4ème dimension », le temps s’est arrêté et l’espace vidé … Les vitres brisées du 4 août 2020 jonchent encore les rues ici là, les magasins éventrés affichent désespérément les stigmates de l’explosion du port, des volets et fenêtres descellés jouent encore dangereusement avec le vide juste au-dessus des rares piétons de ces rues.

Le silence est impressionnant, me rappelant les villes fantômes de l’Ouest américain, que seul le vent habite en faisant grincer une porte ou claquer un volet. Ici, l’explosion a tout figé. Ce quartier construit sur les ruines de la guerre par Rafic Hariri (qui, en bon dirigeant libanais, a profité de la manne car il était aussi intimement lié aux promoteurs immobiliers qui ont officié), est vraiment architecturalement réussi avec ces jolis immeubles mêlant occident et orient, à l’image du Liban. Mais les appartements étaient et restent bien trop chers pour la classe moyenne, Beyrouth Souks en est resté à l’état d’investissement, mais sans habitants. Qui songerait à s’installer dans un lieu aussi vide, aussi joli et paisible soit-il ? Vous allez me dire que c’est étrange d’investir sans louer son bien, mais l’échelle de la fortune de certains fait que laisser un appartement ou un immeuble vide pendant 10 ans n’est pas un souci, sans parler de blanchiment … Nous voyons fréquemment des immeubles vides dans Beyrouth, mais là, ils sont tous déserts ! Seuls quelques rares magasins donnent un semblant de vie, un lieu surréaliste … au milieu de tout cela se trouvent des ruines romaines et phéniciennes qu’on avait jamais vues, alors qu’on passe régulièrement devant, amplifiant le décalage temporel que nous semblons subir.

Ce pays n’aura jamais cessé de nous surprendre pendant tout notre séjour, décor parfait pour un film de 5 ans que nous aurons traversé en passant par tant d’émotions. Les acteurs étaient parfaits, les décors plus vrais que nature, du beau et grand cinéma ! Clap de fin …

2 Replies to “Comme au cinéma”

  1. Je n’ai pas les mots … mais merci de nous avoir fait vivre, un peu, tout ça.
    Vivement Les Schav à Bruxelles une fois 😆
    Et ramener vite vos fesses, ici il fait bon vivre. 😘

  2. Quel film émouvant que ces 5 années, qui se concluent par un tournage, un vrai! Enfin ça ressemble un peu à un prank comme disent les jeunes non?
    Hâte dele voir à sa sortie, je vais surveiller Cannes 2026, ça me fera l’occasion d’aller sur la Croisette.
    Peut-être auras-tu rapporté ton casque d’acteur, le petit, car plus facile à mettre dans les bagages !
    Ciao Bourvil !

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